Je sais que la Communauté de S.Egidio a beaucoup travaillé sur cette question avec la justice africaine. Mais cette question ne se pose pas seulement en Afrique. Dans mon propre pays, la France, les conditions de l’incarcération sont problématiques et posent la question du respect de la dignité humaine. Un seul témoignage que je voudrais citer rend compte de l’étendue du problème. Il s’agit du témoignage d’un détenu qui a vécu quatre mois de détention préventive : « Quand vous arrivez en détention préventive, vous n’avez rien. Pour obtenir une serviette, il faut attendre le jour de distribution. A la bibliothèque, le code pénal date de 1981 ; vous ne pouvez pas connaître vos droits. Le dimanche, parfois, on vous refuse sans raison d’aller à la messe que l’aumônier vient célébrer. » Ce qui lui a manqué le plus c’est l’accompagnement psychologique : « Comme ça ne va pas, vous vous dirigez vers l’infirmerie, où on vous abrutit de cachets. La télévision et les neuroleptiques sont les deux drogues largement distribuées en prison. »
Certes la situation des prisons en France est très contrastée. Mais ce n’est pas de la situation des prisons françaises que je veux parler. A partir de ce seul témoignage se dégage une question de fond. La réalité carcérale, telle qu’elle est vécue en beaucoup d’endroits, met en concurrence la volonté de protection de la société et la protection de la dignité de la personne humaine, alors qu’elles devraient être dans une totale complémentarité et dépendance mutuelles.
La doctrine sociale de l’Eglise affirme de manière claire que l’impératif catégorique de la pensée chrétienne sur l’homme s’applique aussi dans le monde carcéral. Je cite le § 403 du Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise à propos de l’activité des aumôniers de prison : « A cet égard l’activité que les aumôniers de prison sont appelés à exercer est importante non seulement sous le profil spécifiquement religieux, mais aussi pour défendre la dignité des personnes détenues. Hélas les conditions dans lesquelles elles purgent leur peine ne favorise pas toujours le respect de leur dignité ; souvent les prisons deviennent même le théâtre de nouveaux crimes ». On est obligé de constater que très souvent le système pénitentiaire ressemble à une énorme machine à broyer les individus, que la prison est « un pourrissoir d’hommes », comme l’a dit un ancien Garde des Sceaux français. Elle apparaît surtout comme le lieu de stockage pour les « déchets » de la société, sans qu’intervienne d’aucune manière la préoccupation de la valeur de la personne humaine. Dans la conception de beaucoup, elle sert de barrière protectrice à la société et dans le même temps d’instrument de vengeance pour ceux qui ont été victimes d’agissements criminels, une vengeance qui ne laisse aucun espace pour le pardon.
A partir de là beaucoup de questions se posent :
- S’il est légitime d’assurer la sécurité de la société, la méthode qui consiste non seulement à mettre derrière des murs ceux qui sont un danger pour elle, mais aussi à dissoudre leur identité dans un cadre et avec des manières de faire qui ne tiennent pas compte du minimum requis pour qu’un individu reste une personne, est-elle pertinente et juste ?
- La peine infligée, même si elle correspond aux critères du droit et de la justice, et la souffrance qui en résulte ne sont-elles pas disproportionnées dans le cadre carcéral tel qu’il est conçu par rapport à l’atteinte infligée à la société ?
Pour faire un instant l’état des problèmes de déshumanisation liés aux lieux de la détention je dirais que les plus répandus sont les suivants :
- La surpopulation carcérale
- La vétusté des locaux
- L’insuffisance de nourriture
- Le manque d’hygiène sanitaire et de soins de santé
- La non-séparation entre personnes en détention préventive et personnes condamnées, entre majeurs et mineurs, entre hommes et femmes
- La solitude
- Le manque d’accès aux droits élémentaires
- Les difficultés pour travailler en prison
- Les perspectives limitées de réinsertion
Dans un tel contexte la prison est clairement un lieu déshumanisant qui rend impossible, ou au moins très difficile toute valorisation, intégration, réinsertion des personnes.
On peut se réjouir que les sociétés modernes ne tolèrent plus la peine de mort. Mais l’institution pénitentiaire, telle qu’elle se présente le plus souvent, garde une perspective de destruction de la personnalité (réputée dangereuse), autrement dit de mise à mort. Elle n’est en aucune manière tournée vers la vie et le relèvement. Quand le minimum requis pour préserver les droits de la personne est assuré, ce n’est pas tant par respect de ces droits que par souci d’éviter un déséquilibre majeur à l’intérieur des murs.
La seule recherche de la paix et de l’équilibre social oblige à inverser la perspective et à prendre les mesures qui permettent de maintenir cet équilibre. Les détenus ne sont pas voués à passer leur vie en prison et ne doivent pas être regardés comme s’ils l’étaient. Au bout de leur chemin ils ont vocation à regagner la société et cette réinsertion doit se préparer longtemps à l’avance dans la manière de vivre le temps de l’incarcération.
De là l’urgence de l’humanisation des prisons qui permettra aux détenus de demeurer des hommes pouvant de nouveau faire partie un jour de la société. Les facteurs de cette humanisation, tels que je voudrais ici les relever, même s’ils ne sont pas toujours totalement absent de ce qui se pratique en milieu carcéral, représentent cependant ce qui constitue les plus grandes défaillances de ce milieu, constatables à travers toutes les enquêtes faites à ce sujet :
- Droit au respect de normes assurant une dignité minimale (alimentation, logement, santé)
- Droit au maintien des liens familiaux
- Droit à la sécurité
- Liberté de religion
- Droit à l’éducation
- Droit au travail
- Droit à un aménagement de peine en vue de préparer la sortie de prison et la réinsertion
Ces considérations sur l’humanisation nécessaire des prisons expriment déjà un pré-requis pour conserver un équilibre en milieu carcéral et éviter les troubles inhérents à la sociabilité précaire qui s’y développe. Elles énoncent des principes qui relèvent d’une simple éthique sociale. Comme chrétiens nous ne pouvons qu’y adhérer. Mais nous avons quelque chose de plus à considérer. L’Evangile doit éclairer nos choix et nos attitudes, en particulier par rapport au fait carcéral et plus encore par rapport aux personnes qui sont en situation de détention. La manière dont le Christ a regardé l’homme nous appelle à jeter un regard spécifique sur tout humain, quel qu’il soit. Voici quelques principes que je voudrais rappeler :
- L’homme ne peut en aucun cas être identifié à sa faute, si grande soit-elle. Si le détenu était confondu avec la faute qu’il a commise, on n’aurait rien d’autre à faire qu’à se préoccuper de l’aménagement de son incarcération.. Mais il demeure une personne humaine et une créature à l’image de Dieu. C’est là sa seule identité permanente. Il n’a donc pas vocation à avoir la prison comme unique perspective. C’est la raison pour laquelle l’Eglise et les communautés chrétiennes ont à se préoccuper de manière particulière de la préservation de son humanité et des perspectives de retour à la vie sociale qui lui sont offertes.
- Il est difficile pour un détenu de percevoir les signes de son humanité en prison. Les aumôneries, les visiteurs de prison sont des instruments importants por lui offrir cette perception. Il est plus difficile encore de sortir de prison à cause de la rupture provoquée par la condamnation et l’incarcération. Il est donc essentiel de trouver des communautés chrétiennes accueillantes à ceux qui sortent, attentives aux questions de logement et de travail qui se posent à ces détenus libérés et prêtes à les soutenir humainement. Les habitants de la prison font partie du peuple de Dieu dans un diocèse. Leur communauté doit être aussi en lien avec les autres communautés chrétiennes qui constituent celui-ci, tout particulièrement avec celle du territoire sur lequel est situé le centre de détention.
Les murs de la prison ne doivent pas être un obstacle à la fraternité qui doit unir les membres du Peuple de Dieu. Trois grands défis s’adressent à notre foi de chrétiens afin qu’elle soit puissance de vie pour ces êtres qui vivent une forme de mort en prison :
- Que nous regardions les personnes qui relèvent de la réalité carcérale (détenus, victimes, familles, personnel pénitentiaire) dans leur humanité et que nous leur ouvrions un chemin de vie, à l’opposé du contexte de déstructuration dans lequel ils sont amenés à évoluer.
- Que nous les regardions comme membres du Corps du Christ, ayant toute leur place dans la fraternité que le Christ est venu instaurer.
- Que nos communautés deviennent des lieux ouverts qui ne se limitent pas à leurs préoccupations internes mais sachent rejoindre les exclus.
Il s’agit au fond d’ouvrir les yeux, de changer notre regard sur le monde carcéral. Ce que notre foi nous invite à découvrir c’est que tout homme est plus grand que son acte. Son éminente dignité c’est que Dieu lui offre la possibilité de demander le pardon et d’accomplir un chemin de réconciliation et de rédemption. Au titre de cette dignité, tout homme, en particulier, celui dont l’humanité est mise en question par la condition carcérale , a droit à ce message.