Messieurs les Présidents, D’abord je veux vous dire l'immense honneur d'être parmi vous aujourd'hui. Mais en même temps, quand j'ai été invité et que j'ai accepté l'invitation, je me suis d'abord dit : « ils invitent le Président d'une République laïque, qui a une histoire parfois complexe avec les religions. » Puis je me suis dit : « ils invitent le Président qui est à la tête de la diplomatie, mais aussi des armées d’une puissance dotée de l’arme nucléaire en plein milieu d'une guerre qui revient en Europe. C'est un drôle de moment pour venir parler de la paix. » Donc je me suis d'abord demandé, cher Andrea, si vous étiez vraiment un ami ! Reprenant Molière, je me suis dit : « qu'est-ce que je suis allé faire dans cette galère ? » Parler de la paix maintenant, alors que chaque jour, il faut expliquer qu'on va tenir, qu'on doit parler de défaire l'adversaire, de victoire et que, partout à travers l'Europe et à travers le monde, on attend essentiellement des propos qui sont plus souvent belliqueux. Je me suis aussi souvenu de ces moments qui, ces dernières années, m'ont profondément marqué, m'ont beaucoup apporté, les moments d'échange. Vous avez eu l'amitié d'évoquer les Bernardins, et je me souviens aussi de l'Hôtel-de-Ville de Paris, de l'échange avec les protestants ; il y a quelques jours encore, à la Grande Mosquée de Paris ; le grand rabbin s'en souvient sans doute aussi, avec les juifs de France. Et puis, des lieux parcourus à travers le monde, et je retrouve ici plusieurs visages amis : de Jérusalem à Mossoul jusqu'aux confins de l'Afrique et de l'importance de ce dialogue. Quand j'ai appelé hier Andrea Riccardi, je lui ai dit : « mais qu'est-ce que vous attendez de moi ? » Il m'a répondu quelque chose qui m'a réconforté. Il m’a dit : « dites-nous ce que vous attendez des religions dans ce moment ». D'abord, quelqu'un qui vous répond comme cela, c'est assez rare pour un Président de la République. C'est là où je me suis dit : « c'est ce que je vais tâcher de faire. » Mais surtout, je pense que dans le moment que nous traversons, vos journées de travail, ce dialogue que vous avez instauré, a quelque chose qui, par sa démarche même, répond à la situation que nous vivons. Parce que décider de rassembler toutes les religions, mais aussi les familles philosophiques, les convictions, les responsables, les associations, c'est agir de manière concrète pour ce multilatéralisme de plusieurs ordres, mais c'est créer un dialogue et donc l'art d'une forme de déséquilibre. Comme je le disais, à un moment où on ne parle que de victoire ou de défaite, c’est accepter d'être en quelque sorte intempestif, et parler de paix. C'est pour cela que je suis devant vous aujourd'hui. Alors je voudrais, je l'ai évoqué de manière rapide, parler du moment. Parce que parler de paix et appeler à la paix aujourd'hui peut avoir quelque chose d'insupportable pour celles et ceux qui se battent pour leur liberté, et donner le sentiment d'être en quelque sorte trahi. Et je le dis, dans un pays qui a connu l'occupation et où parfois, celles et ceux qui défendaient la paix, pouvaient n'être pas compris et être vécus comme des porteurs de défaites. Ne laissons pas la paix être aujourd'hui, en quelque sorte, capturée par le pouvoir russe. Ce n'est pas leur mot. Il n'est pas à eux. Ils ont même fait le contraire. Et la paix aujourd'hui ne saurait être la consécration de la loi du plus fort, ni le cessez-le-feu, ce qui viendrait consacrer un état de fait. Donc nous parlons de paix, de ce cri de la paix que vous avez décidé comme titre et appel, et vous allez travailler ensemble pendant tous ces jours, au moment-même où les Ukrainiennes et les Ukrainiens se battent, mais pour résister, pour défendre leur dignité, pour protéger leurs frontières, leurs territoires et leur souveraineté nationale. Mais une paix est possible, celle-là seule qu'ils décideront, quand ils le décideront et qui pourra respecter leurs droits de peuple souverain. Alors oui, nous parlons dans ce contexte, et tâchons de réfléchir avec vous. Je voulais essayer de voir pourquoi cette guerre en Ukraine nous bousculait si profondément. D'abord parce que vous l'avez dit à l’instant, Président Mattarella, elle signe le retour de la guerre sur le sol européen. Or notre Europe avait réussi ce miracle de chasser la guerre de son sol jusqu'alors. Ensuite, parce qu'elle implique une puissance dotée de l'arme nucléaire. Rien ne justifie cette guerre. Rien ne l'explique. Mais tâchant de me décaler dans ce moment et d'essayer de comprendre, moi qui ai vécu ces dernières années et qui n’ai cessé de parler en particulier au Président Poutine, j'ai essayé de voir ce qui avait pu nous amener jusque-là. Parce que quand on est un des dirigeants de ce monde et qu'on a tâché de réengager la Russie dans le concert des nations, de prévenir, y compris il y a quelques mois encore, cette guerre, on ne peut pas chaque jour ne pas se poser la question : « comment en est-on arrivé là ? » Je n'ai pas de réponse. Je ne sais pas s'il y en a totalement une. Je pense qu'il n'y a sans doute pas une réponse unique et je pense qu'aucune réponse, ni ne justifie, ni n'explique, ni ne légitime quoi que ce soit. Je pense d'abord que cette guerre est le fruit d'un nationalisme exacerbé, entretenu par le pouvoir russe, qui s'est nourri du ressentiment et de l'humiliation nés lors de la dislocation de l'empire soviétique. Ensuite, elle s'est nourrie, confortée, en s'isolant progressivement du reste du monde, l'épidémie ayant sans doute aidé à cet égard, et construisant la conviction que les menaces étaient là, et qu'en quelque sorte l'attaque à son existence était le projet du reste du monde, ou de l'Ouest pour nous citer. Et puis, elle s'est consolidée, construite par une forme de révisionnisme historique, transformant l'histoire contemporaine et même l'histoire moderne, en justifiant ce qui n'est qu'un projet impérialiste et colonisateur consistant à envahir son voisin. C'est ça, je crois, qui s’est passé méthodiquement ces derniers mois et ces dernières années. Cette guerre est aujourd'hui celle d'un pouvoir qui a cherché à la justifier et qui a construit sa propre raison, son propre récit. Mais je ne suis pas sûr qu'elle soit la guerre de tout le peuple russe pour autant. Et c'est là où, pour commencer à répondre à la question posée, par toi, Andrea, travailler en dessous, patiemment, est essentiel. Parler au peuple russe et aux consciences est essentiel. Cette guerre ne peut pas être totalement la leur aujourd'hui. Ensuite, aujourd'hui, nous avons très clairement, et nous le ferons jusqu'au dernier quart d'heure, décidé de sanctionner la Russie, d'être aux côtés du peuple ukrainien pour l'aider à résister, d'un point de vue économique, humanitaire, militaire, sans pour autant être partie prenante de cette guerre pour ne pas la mondialiser. Mais pour qu'à un moment, le peuple ukrainien puisse choisir la paix et pour qu'il choisisse le moment et les termes d'une paix qu’il aura voulue. Ce qui veut dire qu'il y a une perspective de paix, et elle existera à un moment, et qu’à un moment, en fonction de l'évolution des choses et quand le peuple ukrainien et ses dirigeants l'auront décidé dans des termes qu'ils auront décidés, la paix se bâtira avec l'autre et l'ennemi d'aujourd'hui, autour d'une table, et la communauté nationale étant là. Je dis tout cela en vous apportant ma part d'interprétation provisoire et imparfaite de ce que nous vivons, mais parce que nous ne saurions pour autant rester à part de ce qui se passe aujourd'hui. Et quand bien même nous parlons de paix : c'est une perspective et nous devons la bâtir. Il y a aujourd'hui un peuple agressé, attaqué, et il y a de l'autre côté des dirigeants qui ont décidé de donner l'assaut, d'envahir et d'humilier. Se tenir à l'écart, en pensant qu'il pourrait y avoir une forme d'équivalence ou qu'on pourrait rester neutre, je le crois, c'est acter, qu'on pourrait accepter un ordre international où la loi du plus fort pourrait devenir la loi générale, et où la domination ou l'état de fait pourrait se substituer à notre droit. Je ne le crois pas. Cette guerre est donc là, et elle percute notre Europe, nous bouleverse, change nos vies, et je ne veux pas qu'elle fasse non plus oublier les autres guerres que vous avez évoquées, celle dans le Caucase et que subit le peuple arménien, celle en Syrie, en Irak, celle dans la Corne de l'Afrique, celle du Proche et Moyen-Orient ; sur le continent africain, le Mozambique a été aussi évoqué, ou à travers le monde, qui aujourd'hui bousculent des peuples entiers, les poussent dans la misère, la famine, parfois l'exil. Parler de la paix, c'est aussi parler de ce qui traverse nos sociétés qui ne sont pas forcément en guerre, mais qui vivent le retour de la violence et qui vivent le moment que nous traversons, oscillant entre le retour des colères et des grandes peurs, doutant des vérités qui permettent de construire un commun. Où tant et tant dans nos sociétés sont plongées dans une forme de solitude qui, je le crois, est l'un des grands drames des temps que nous vivons et où dans beaucoup de nos pays, en Europe en particulier, nos peuples ont ce sentiment de perdre le contrôle de leurs vies, de leurs histoires, de leurs repères. Je dis cela parce que ce trouble, en quelque sorte, que nous vivons et qui traverse toutes nos sociétés, même quand elles ne sont pas en guerre ; cette inquiétude qui renaît de la solitude, d'une forme de relativisme qui se généralise, de l'immensité des défis qu'il y a face à nous – celui du changement climatique, celui des grandes inégalités liées à notre organisation contemporaine – au fond, font naître et font revenir, y compris dans notre Europe, les ferments de la guerre. Ils ont à chaque fois les mêmes racines : les nationalismes fermés que nous ne devons jamais confondre avec le patriotisme, mais qui sont la volonté de repli et d'exclusion de l'autre et de domination d'un peuple, d'une nation sur l'autre, du rejet de l'autre dans nos sociétés. Ce que j'appellerais les rêves de pureté qui parcourent nos sociétés et qui convoquent toutes les simplifications du monde. Cela peut être le rêve d'une pureté ethnique, comme le rêve d'une pureté religieuse. Mais ils sont là, dans nos sociétés, pour vendre une forme d'absolu de bon aloi, consistant à dire que la solution face à ces doutes, à ces troubles, à cet ébranlement des consciences, c'est de revenir à une vérité unique et à des ennemis clairs qu'il faut combattre. Vous le voyez, j'arrive devant vous inquiet. Alors face à ces défis, celui de la guerre en Europe, celui des guerres qui existent par ailleurs et des ferments qui reviennent dans nos sociétés, que peuvent les religions ? Je pense qu'elles peuvent beaucoup et que les politiques que nous sommes, je le dis au sens générique du terme, en tant que femmes et hommes qui ont décidé de s'occuper de la vie de la cité, en ont besoin. D'abord parce que nous devons tous – responsables de gouvernements ou d'États, responsables associatifs, d'entreprises et responsables religieux – essayer de tirer le bon diagnostic et d'agir ensemble. Ensuite, parce que je pense que si la parole politique peut beaucoup en ce qu'elle donne de sens, en ce qu'elle peut apporter de sens, elle est aujourd'hui touchée dans beaucoup de nos sociétés par la défiance, qui est la sœur du constat que je viens de faire. Mais parce que ni les lois, ni les décrets, ni les décisions que nous pouvons prendre ne suffisent. Les âmes et les peuples ne s'administrent pas. Donc je pense que les responsables religieux ont un rôle essentiel en tant qu’ils contribuent à la trame de nos sociétés, à ces relations entre les individus et à un rapport au temps long. Je pense que dans le contexte que je viens d'évoquer et face à la situation que je viens de décrire, votre rôle est éminent. Celui d'abord, mais je ne le reprendrai pas là parce que je ne veux pas être long, comme je l'avais évoqué à plusieurs reprises aux Bernardins, en particulier, le don de sagesse, d'engagement et de liberté qu’on doit attendre des religions. Ensuite, je pense que les religions et les responsables religieux ont un rôle de résistance face à la folie des temps. Et la résistance, je vais essayer de le dire de là où je me situe et de là où je parle, c'est précisément de ne jamais justifier, être pris au piège ou soutenir des projets politiques qui viendraient à asservir ou à nier la dignité de chaque individu. Je pense qu'à cet égard, ce devoir de résistance est essentiel. Il est essentiel parce que le risque est là et que ce que je décris advient. Nous savons tous comment la religion orthodoxe est aujourd'hui manipulée par le pouvoir russe pour justifier ses actes - devoir de résistance. Nous savons dans nos sociétés et nous savons aussi dans certaines nations comment l'islam est convoqué pour justifier des projets politiques de domination. Nous savons aussi dans nos sociétés combien les autres religions ont pu être aussi dans notre histoire, utilisées pour des projets politiques de domination, de mise en minorité d'une partie de l'humanité et de domination de l'autre. Si je parle d'une république où l'État est séparé de la religion, la religion est dans la société et elle a un rôle éminent. Mais ce faisant, elle a ce rôle de ne jamais laisser des projets qui, en son nom, ou la détournant de sa finalité première, manipulant ses préceptes, peuvent conduire au contraire de ce qu'elle défend. Ce devoir de résistance des religions qui à mes yeux, vous l'avez compris, est essentiel, c'est pour ça que je viens de le plaider devant vous, c'est celui qui consiste à défendre la dignité de chacun, à ne jamais céder, en quelque sorte, à la pulsion de pureté que d'aucuns voudraient convoquer, à défendre le respect, le devoir de prendre soin des plus fragiles et d'apporter aussi une réponse essentielle dans nos sociétés que nous ne saurions apporter : celle de l'enracinement et celle du salut. Ces quelques points nodaux que je viens de décrire sont, à mes yeux, clés dans cette mission de résistance. Quand la guerre est là, ou quand le trouble que j'ai essayé de décrire très rapidement revient dans nos sociétés. A chaque fois qu'une hégémonie s'installe, que la négation de l'autre est là, les religions jouent un rôle essentiel en défendant les quelques principes que je viens d'évoquer. C'est en particulier ce que j'ai pu voir à l'œuvre et que les chrétiens d'Orient défendent, du Liban à Mossoul en passant par l'Arménie : porter une part d'idéal indispensable et une capacité à dialoguer, à ne pas céder à ce qui serait la loi du plus fort, qui immanquablement conduit à l'effacement de l'autre. La dernière chose, c'est que je pense que les religions ont évidemment un message d'universalisme à porter. Je le dis depuis un pays, une nation, un peuple qui a cela en commun avec vos religions, qu’il a toujours revendiqué d'avoir une part d'universel et c'est une fierté de la France. Je pense qu’est Français celui qui pense qu'il a un message universel, c'est dans nos gènes. Mais qu'est-ce que cet universalisme ? D'abord, ce n'est pas un discours, une religion ou une vérité qui dominerait le reste du monde. L'universalisme n'est pas une hégémonie. Ensuite, ce n'est pas non plus l'idée de dialoguer avec soi-même. Ce n'est pas en quelque sorte la mêmeté, l’ipséité pour revenir au concept antique. L'universalisme, c'est d'abord une exigence à l'égard de soi-même. Ce que je fais doit pouvoir s'appliquer et être expliqué partout à travers le monde. C'est une volonté de comprendre ce que nous faisons à l'échelle du monde, et de dialoguer avec les autres, et de chercher la part d'universel irréductible en chacun d'entre nous. L'universalisme, c'est précisément ce qui vise à bâtir cette unité de la nature humaine et à reconnaître, ce faisant, car c'en est le sous-jacent, la dignité de chaque être humain. C'est pourquoi l'universalisme est à mes yeux le meilleur antidote contre le relativisme contemporain, le meilleur antidote aussi contre la fracturation du monde à laquelle nous assistons, qui consiste en quelque sorte à consacrer, dans trop d'endroits du monde, la loi du plus fort ou qui consisterait à renvoyer certains principes dans une forme d'historicité ou de régionalisme. Car nous voyons aujourd'hui monter partout à travers le monde d'Asie, en Afrique, en Amérique latine, des voix qui s'élèvent et qui nous disent : « l'égalité entre les femmes et les hommes, c'est une notion occidentale. Ce que vous défendez ici ou là, c'est une notion occidentale. » Non, la dignité de tout être humain, l'égalité entre les sexes, les valeurs que nous portons et que les religions défendent, sont des valeurs universelles en ce que leur soubassement est la dignité de chaque être humain, en tant qu'elles se tressent, qu'elles cheminent dans les sociétés par un dialogue incessant entre religions, entre formations politiques et parce qu'elles dessinent un horizon que je ne crois pas dépassable. Surtout cet universalisme, celui auquel vous contribuez historiquement, philosophiquement et pour lequel nous avons plus que jamais besoin de vous aujourd'hui, c'est celui qui permet de prévenir l'humiliation, et par voie de conséquence, le ressentiment. Car toutes les guerres que nous voyons aujourd'hui poindre et les divisions dans nos sociétés naissent précisément de cela. L'humiliation du plus faible, de l'oublié, de celui qui n'a pas digéré son histoire, parce que nous n'avons pas construit le chemin pour le faire, et le ressentiment qui en sort et qui justifie la guerre de demain. C'est ça, la tâche qui est la nôtre, si nous voulons véritablement être à la hauteur de ce cri de paix. Pas simplement cesser les armes aujourd'hui, mais traquer partout les humiliations et les sources de ressentiment. Elles naissent à chaque fois que cet universalisme est oublié. Elles naissent à chaque fois qu'on vient bousculer l'ordre juste que seuls ces principes universels permettent de bâtir. En préparant cette réflexion libre devant vous, je me replongeais dans un petit texte de 1795. Pour tout vous dire, c'est le petit texte tiré d’une de ces éditions originales que j’offrirai demain au Très Saint-Père, le Projet de paix perpétuelle de Kant. Et dans ces premiers principes, il dit : « ne peut pas être reconnu comme traité de paix, celui qui porterait les racines d'une nouvelle guerre. » Puis, il le développe beaucoup mieux que je ne le ferai ici : « tout texte, toute paix qui vient nier la place de l'autre, même de mon ennemi, n'est pas un traité de paix. » C'est ça l'immense difficulté de la paix. C'est qu'elle impose cet universalisme que je viens de décrire, mais un pas vers l'autre et donc un déséquilibre. C'est ce qui fait qu'elle est précaire et que, quand les temps sont difficiles et que le trouble se réinstalle, elle est souvent si fragile face aux discours belliqueux et à celles et ceux qui voudraient faire croire que la vérité est plus pure que cela. La paix est impure, profondément, ontologiquement, parce qu'elle accepte une série de déséquilibres, d'inconforts, mais qui rendent possible cette coexistence avec l'autre que moi. Je le dis ici pour nos amis qui viennent du monde entier : l'Europe, et en particulier l'Union européenne, sont un trésor à cet égard. Et nous, nous pouvons le dire parce que nous avons construit notre Europe sur des millénaires de guerres civiles. L'Europe était le continent qui avait la plus grande expertise en matière de guerres. Guerres de religion, guerres politiques, guerres hégémoniques. Et notre Union européenne est ce petit trésor de paix, parce que nous avons décidé que nous allions construire un équilibre bâti sur la connaissance et la compréhension de l'autre, l'absence d'hégémonie. Il n'y a pas de plus fort dans notre Union européenne. Il n'y a que des semblables et des égaux. Et la conviction que notre avenir était ensemble. Je crois que ce message de l'Europe est un message à vocation universelle. Et c'est la même chose qu'il nous faut trouver – le président Mattarella, le président Riccardi l'ont évoqué dans leurs propos – dans l'équilibre entre le Sud et le Nord et dans ce nouveau dialogue qu'il nous faut savoir bâtir. C'est un équilibre de respect, de réciprocité, de justice. Paul VI parlait du développement comme nouveau langage de la paix, et c'est le projet que nous voulons porter, celui que nous avons tâché de porter pendant la pandémie : des questions de santé aux questions d'éducation, au sujet si essentiel du climat, à la question, évidemment, des inégalités économiques. Nous devons rééquilibrer le monde si nous voulons vraiment construire la paix. Il nous faut avoir la même force d'âme que celle que nous avons eue en Européens pour mettre fin à nos guerres civiles, à l'échelle de la planète, tous ensemble, pour retrouver les voies et moyens de cet universalisme qui suppose plus de justice et de respect de l'autre. À cet égard, et pour accompagner nombre de ces projets en matière de santé, d'éducation, de climat et l'agenda que nous voulons bâtir qui est celui, au fond, de l'investissement solidaire, j'ai besoin de vous et votre rôle est absolument essentiel. Je ne vais pas prolonger mon propos plus loin, il est largement imparfait et résolument incomplet et je l'assume. Mais au fond, j'ai voulu, puisque vous m’en avez offert l'opportunité, à un moment si grave pour notre continent et pour nous tous, vous dire qu’il y a un projet humaniste possible. Et pour ce projet humaniste qui est à réinventer, les religions, les grandes familles philosophiques ont un rôle essentiel à jouer, car ce projet humaniste reposera sur le respect de chacun, la justice, la reconnaissance et le courage. Je terminerai sur cette vieille valeur. Il faut beaucoup de courage pour vouloir la paix, pour la préserver ou pour la restaurer. Et les vrais courageux sont là. Il faut beaucoup de courage. D'abord le courage de l'imagination, vous l'avez admirablement dit, Andrea. Parce que, imaginer la paix en temps de guerre, c'est le plus grand des impensables. Mais il faut le courage pour tenir la paix dès qu'elle est possible, d'une forme d’intranquillité. Je vous disais que la paix était impure, elle est toujours intranquille. Parce que bâtir la paix, c'est toujours accepter la part de l'autre. Et donc, je ne sais si c'est un cri qu'il nous faut, mais je pense qu'il nous faut à coup sûr une tâche lente, de chaque jour, mais indispensable. Il nous faudra pour cela beaucoup de courage et je sais que nous en sommes capables. Ce courage de bâtir la paix et, en quelque sorte, de vivre toujours à sa frontière. Je vous remercie.
Cher Sergio, Monsieur le Président,
Éminences,
Béatitudes,
Messeigneurs,
Très révérends Pères, très révérendes Mères,
Messieurs les grands rabbins,
Mesdames et Messieurs les hauts représentants de l’islam, du bouddhisme, de l’hindouisme, Mesdames et Messieurs les dignitaires religieux,
Messieurs les président et ancien président de la communauté de Sant’Egidio,
Mesdames et Messieurs,