Deel Op

Valérie Régnier

Gemeenschap van Sant’Egidio, Frankrijk
 biografie

Une ville de périphéries 

Dans sa définition de la Cité, Diderot indique que « la première ville ou cité fut construite par Caïn. Nemrod, qui fut méchant, et qui affecta un des premiers la souveraineté, fut aussi un fondateur de cités. Nous voyons naître et s'accroître la corruption et les vices, avec la naissance et l'accroissement des cités. » poursuit le philosophe des Lumières.

Cette vision négative, chaotique et néfaste de la ville peut encore trouver son écho aujourd’hui alors que depuis 2006 pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la population des villes a dépassé celle des campagnes. Nous vivons désormais dans un monde urbain. L’histoire s’écrit dans les villes ; la planète elle-même devient une ville globale, une ville-monde. Et dans ce monde de villes, se pose le problème des périphéries. 

Si la mondialisation a raccourci les distances dans les échanges et les communications, elle a paradoxalement creusé le fossé entre le centre et les périphéries. Le visage de la nouvelle ville-monde est déjà balafré par les murs et les barrières. En Occident (Europe et EEUU) les périphéries devenues multiples, peinent à rejoindre le centre politique, culturel et économique. Pensons à la distribution injuste des chances, aux limites posées à l’accès à l’éducation, à la santé et aux infrastructures, qui sont autant de garanties pour la qualité de la vie. Mais surtout dans le grand sud du monde les villes sont devenues autre chose de ce que nous sommes habitués à voir ici : il s’agit de mégalopoles sans centre, où avec plusieurs centres. Des villes hors-centre on pourrait dire. Ces villes sont constituées des nombreuses périphéries et le centre disparait. Je pense à Lagos, Kinshasa, mais aussi à Mexico ou Buenos Aires. Ce n’est pas par hasard que François parle de « périphéries humaines et urbaines ». Il connait ces villes hors centre. La périphérie devient une sorte de centre par défaut. 

Ces villes ont besoin de proximité humaine, capable de créer et recréer des liens, de forger des communautés, de faire sentir à chaque périphérie qu’elle est au centre d’un intérêt. 

L’homme de la ville : un être périphérique

C’est l’un des paradoxes de la mondialisation. Dans notre ville-monde, les hommes et les femmes périphériques et dépaysés ressentent fortement l’anonymat, l’insignifiance, la précarité, l’isolement qui les menace. Les courants migratoires provoqués par la mondialisation et l’urbanisation ont changé le visage des villes : chaque ville désormais est une cohabitation de personnes d’origines, de cultures, de religions différentes. On vit de plus en plus près les uns des autres sans être proches les uns des autres. Le préjugé peut alors devenir une arme de défense. Dans ces mégalopoles la présence chrétienne n’est plus évidente, les chrétiens peuvent aussi devenir périphériques : mais cela n’était pas le cas aux premiers siècles ? les grande basiliques romaines furent bâties toutes en périphérie…. Celle de l’époque bien sur.  

Que peut faire le petit nombre de chrétiens dans la ville d’aujourd’hui ? Quelle espérance apporter à des êtres dépaysés, apeurés par la présence de l’autre, isolés dans leur quête matérielle, livrés aux règles du marché et du « sauve-toi toi-même » ? Que peuvent faire les chrétiens pour que la vie dans la ville-monde ne devienne pas absurde ? C’est une interrogation qui n’est pas nouvelle. Ainsi, dans ma ville à Paris, l’Eglise s’interroge depuis longtemps sur la réalité de la vie chrétienne dans la ville. Un vicaire parisien anonyme écrivait à son archevêque, en 1849, deux lettres sur la crise de l’Eglise dans la ville. Ces deux lettres rassemblées avaient pour titre : « La religion est perdue à Paris... ». Selon lui, beaucoup de parisiens vivaient et mourraient loin de l’Eglise. Il fallait réformer les structures paroissiales en créant un clergé missionnaire. Au milieu du siècle dernier, le cardinal Suhard s’alarmait à son tour de l’état de déchristianisation de la banlieue parisienne, des populations « perdues » pour l’Eglise, livrées à elles-mêmes. Cet état d’abandon l’avait poussé à envoyer des prêtres pour partager la condition des ouvriers dans la périphérie. Ainsi nait La Mission de Paris en 1944. C’est cette histoire que raconte le livre de Gilbert Cesbron avec ce titre significatif « Les saints vont en enfer ». 

Dans la postface de la réédition du livre en italien paru récemment, Andrea Riccardi écrit : « La lecture de ce roman, mais surtout l’expérience de cette humanité douloureuse de la périphérie romaine, faite en bonne partie d’immigrés méridionaux, poussa la première génération de Sant’Egidio, jeunes, à s’engager dans le monde des périphéries, pour que grandisse la dimension de la solidarité et renaisse une Eglise-communauté entre personnes simples, en difficulté, éprouvés par la vie… Dans le cadre d’un christianisme populaire, fortement ancré dans la lecture de la Bible et de la liturgie, naissaient alors des Communautés de Sant’Egidio qui avaient comme lieux de rencontres et de prières des magasins, des sous-sols ou encore des centres sociaux. Il y avait une passion pour la périphérie humaine et urbaine dans ses pages qui trouvait une confirmation et un réconfort, sinon une inspiration. ». L’église repart toujours de la périphérie…

La vie de Sant’Egidio aujourd’hui dans la ville-monde : un sanctuaire de gratuité 

Depuis lors, la Communauté de Sant’Egidio ne cesse de travailler avec les pauvres, avec les catégories les moins favorisées dans les banlieues de nombreuses villes du monde, cherchant à combler les fossés existants et à reconstruire le tissu humain et social là où il a été déchiré ou là où il n’a jamais existé. Il s’agit aussi d’aller dans les « périphéries existentielles : là où résident le mystère du pêché, la douleur, l’injustice, l’ignorance » comme l’exhorta le cardinal Bergoglio lors d’une assemblée précédant le conclave en 2013. Il ne s’agit pas seulement de problèmes sociaux mais surtout humains. Lorsque la pauvreté devient insoutenable, elle s’accompagne à l’exclusion et au mépris. Il faut donc créer des espaces de rencontre où il y a de la place pour tous et où puisse s’instaurer un dialogue citoyen, une culture du vivre-ensemble. Il s’agit de faire de la Cité le lieu du vivre-ensemble. 

A Paris, la Communauté de Sant’Egidio est présente au centre à la chapelle Saint-Bernard, située à la gare Montparnasse qu’un million de personnes traversent toutes les semaines. Comment devenir sanctuaire dans la ville ? Sant’Egidio est également présente en banlieue parisienne à Charenton-le-Pont, ville qui longe le Bois de Vincennes où résident plus de 200 sans-abris de toutes nationalités.

Voici notre défi : l’art de vivre ensemble dans notre ville. C’est à la fois un défi et une responsabilité. 

Par l’intermédiaire de fêtes, par la création de mouvements, de rencontres et d’échanges, Sant’Egidio créé des espaces de rencontres et construit des ponts. Travailler à l’art de la rencontre pour faire de la ville-monde une ville humaine, solidaire, amie des pauvres et amie de la paix. Rebâtir la proximité entre les gens de la cité est la réponse que nous pouvons donner à une ville qui a perdu son centre. C’est une réponse chrétienne qui vient du cœur de la foi des croyants comme a pu l’exposer Andrea Riccardi, au Collège des Bernardins, grand centre culturel catholique parisien voulu par le cardinal Lustiger, lors du discours inaugural de la Chaire qu’il a présidé ces deux dernières années : « La proximité humaine, non épisodique ou fonctionnelle, mais fondée sur la gratuité est naturellement liée au christianisme. La conscience antique de la Genèse affirme : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul ». La question que Dieu pose à celui qui tue ou qui élimine son frère reste évidente : « Où est ton frère ? ». Et Jésus explique, avec la parabole du bon Samaritain, que le pauvre, par définition inutile, s’impose dans la géographie de la proximité […] La déstructuration de la proximité est inacceptable pour le christianisme : fraternité, proximité avec les pauvres, communion entre les personnes sont des valeurs indispensables. »

Aller donc à la rencontre des pauvres, comme avec nos amis sans-abris au pied de la Cathédrale Notre Dame au cœur de Paris ou bien au bois de Vincennes en périphérie. De la même façon, des jeunes se rendent de manière assidue auprès de personnes âgées vivant en maison de retraite. Il faut imaginer des stratégies créatives de cohésion humaine pour dépasser les difficultés du vivre ensemble dans nos villes. L’historien et sociologue Emile Poulat, aime à définir Sant’Egidio par les trois P : la prière, les pauvres, la paix (le pape l’a dit aussi). Lieu de prière, d’amitié aves les pauvres, de construction de la paix, voici la définition que nous aspirons à donner à la ville. 

La ville peut être une chance pour développer une culture de paix à laquelle tout le monde peut travailler et contibuer, c’est notre conviction la plus profonde.