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Rik Hoet

Bischöflicher Vikar, Belgien
 biografie
M. le président,
Mesdames et messieurs,
 
Je suis très honoré d’être invité ici à prendre la parole. Je suis particulièrement reconnaissant à mon ami Aron Malinsky qu’il est présent parmi nous et je regrette infiniment que notre ami commun Jamal Maftouhi n’a pas eu l’occasion d’être ensemble avec nous ici. Mais dans ce cas nous ne serions pas ici à cette table ronde mais à celle du dialogue entre les trois religions abrahamiques.
 
Aron et moi, nous formons deux tiers de ce qu’on a commencé d’appeler le « Trialogue » en Belgique. C’était l’intuition géniale de la communauté de Sant’Egidio en Belgique qui nous a rassemblés lors des tensions entre chrétiens, musulmans et juifs dans notre ville pour montrer que les différences de religion ne doivent pas être raison de haine et de conflits. Au contraire, Dieu unit les hommes et les peuples et notre amitié comme « hommes de Dieu » de religions différentes en est une illustration. Notre conviction est que la violence est toujours le résultat d’idolâtrie et ne peut jamais être justifié au nom du vrai Dieu.
 
Mais je voudrais me concentrer maintenant sur le dialogue entre juifs en chrétiens en vous expliquant les raisons pourquoi je considère le dialogue interreligieux comme la vocation et la mission même de ma vie en tant que disciple du prophète Juif Jésus de Nazareth.
 
Beaucoup de chrétiens et des juifs en effet voient une incompatibilité entre le dialogue interreligieux et la mission chrétienne. Parce qu’ils considèrent la mission chrétienne comme prosélytisme. Le devoir religieux des chrétiens serait de faire entrer tous les hommes et les femmes du monde entier dans l’Église catholique romaine pour leur propre salut éternel. Et trop souvent on présente le Concile Vatican II comme le moment où l’Église catholique aurait renoncé à cette mission de convertir les non-chrétiens en optant pour le dialogue avec les autres dans le respect de leurs convictions. Le concile a signifié pour l’Eglise catholique en effet une conversion dans la compréhension et la pratique de sa mission, mais sans renoncer à sa vocation de témoigner que Jésus est le seul chemin vers la paix de chacun et du monde. Ainsi, beaucoup des Juifs ont eu peur qu’avec le Concile le dialogue était devenu la nouvelle stratégie des chrétiens pour essayer de convertir les Juifs au Messie chrétien dans une époque où l’Eglise ne dispose plus des moyens plus contraignants pour baptiser les Juifs.
 
Pour ma part je dirais qu’au Concile l’Église a commencé à comprendre que sa mission n’est rien d’autre que le dialogue. On a distingué entre différentes formes de dialogue : le dialogue de la vie comme la conversation qu’on a dans la rue avec ses voisins, le dialogue de la collaboration pour l’amélioration de la société, le dialogue comme échange de ses expériences et convictions religieuses, … . Mais sur tous ses niveaux le dialogue est toujours un échange amical. Il n’a pas de sens de parler de dialogue quand les participants ne veulent pas entendre la raison de l’autre. Si le dialogue n’est pas un moyen de vouloir convaincre l’autre de ma raison, mais s’il est un moyen de vouloir chercher ensemble de trouver la vérité ou la meilleur solution pour un problème qui se pose, je crois qu’on veut parler d’un vrai dialogue.
 
Et qu’est-ce que Dieu veut autrement de nous, ses enfants, que nous cherchons ensemble de vivre en paix ? Je crois que c’est la révélation biblique qu’au moins Juifs et chrétiens partagent. Alors le dialogue est le moyen de chercher cette paix. Juifs et chrétiens partagent aussi la foi dans un Dieu d’amour qui se révèle dans la Parole. Et bien le dialogue c’est l’exercice pratique de la parole divin de l’amour. C’est pourquoi je crois que la politique – la construction de la société – doit être une politique de la parole et non pas des armes, une stratégie « parlementaire » et non « militaire ».
 
Malheureusement il y a aussi des paroles violentes et des paroles fausses, des mensonges et tromperies. Mais la parole authentique et respectueuse est déjà l’expression de la vie en paix. Elle est l’acceptation de l’autre avec toutes ses différences, parce que le dialogue se fait toujours avec un autre que soi-même. Si non, c’est un monologue ! Je pense que la vocation – la mission si vous voulez – de chaque être humain est d’apprendre à dialoguer avec l’autre. À moins que l’on est convaincu que l’autre n’a pas le droit d’exister. Mais cela ne me semble pas conforme avec la révélation biblique. Le dialogue sincère c’est la stratégie de la paix et dans la paix non seulement afin d’atteindre la paix dans l’avenir, mais c’est déjà réaliser la paix au moment du dialogue même.
 
Pour moi, chrétien, Jésus est la Parole incarnée de Dieu. Cela veut dire : Il est l’expression en chair et en os de cette parole de l’Éternel, résumée par le prophète Malachie : « Je vous aime » (1,2 ; TOB). Jésus n’est pas seulement la déclaration d’amour de Dieu à sa création, mais il est aussi la réponse reconnaissante dans un amour répondant à l’amour de Dieu. C’est dire que Jésus est la réponse à l’invitation d’alliance d’amour que Dieu fait depuis le début de la création. En d’autres mots : Jésus est pour les chrétiens la réussite du dialogue entre Dieu et l’humanité. La mission des chrétiens et de toute l’humanité est – dans la vision chrétienne – d’apprendre à parler et à dialoguer donc, à répondre à Dieu et à chaque « autrui » dans l’Esprit de Jésus.
 
Il ne s’agit donc pas de convertir les autres à ma raison, ni à ma façon de parler, mais le dialogue est l’exercice d’une conversion commune – d’abord des chrétiens, puis de chrétiens et des Juifs ensemble – à la Parole de Dieu. Il m’a frappé en étudiant la Bible – tant la Bible hébreu que les Bibles des chrétiens – que l’appel des prophètes à la conversion est avant tout un appel au peuple de Dieu ou à un ou plusieurs membres de ce peuple. La première parole de Jésus dans les évangiles est un appel à la conversion, pas aux païens, mais à ces concitoyens (cf. Mc 1,15). Cela veut dire qu’il nous faut d’abord en avant tout nous convertir nous-mêmes. Commencer nous-mêmes le dialogue avec Dieu et avec les autres. Commencer nous-mêmes à parler la parole d’amour du Créateur.
 
La mission juive et chrétienne est de témoigner de l’alliance d’amour qui lie Dieu à l’humanité et à chaque être humain. Comme chrétien je suis convaincu que Dieu est dans son être même dialogue d’amour, donc dialogue entre « personnes différentes », c’est ce que la théologie chrétienne appelle le mystère de la Trinité. Le point culminant de l’alliance révélée par la Bible c’est le dialogue d’amour qui se fait dans la personne de Jésus entre Dieu et l’humain. Mais je ne me sens pas appelé de convaincre les Juifs ou n’importe qui d’autre de cette vérité qui m’est transmise par ma tradition chrétienne. Je crois plutôt que ma – et la – mission chrétienne est d’apprendre ce dialogue d’amour en acceptant l’autre dans son altérité dans l’espérance qu’il m’accepte aussi dans mon identité afin que nous ne restons pas nous-mêmes, mais que nous devenons toujours plus ce que nous sommes appelés d’être : des icones de ce Dieu dialoguant dans l’amour.
Je vous remercie pour votre attention.