Laurent Monsengwo Pasinya
Kardinal, Erzbischof von Kinshasa, katholische Kirche, Demokratische Republik Kongobiografie
Sociétés et Religions
1.L'Afrique a connu depuis un siècle des mutations profondes de tous genres : de la colonisation aux indépendances, de la guerre froide aux non-alignés ou plutòt « non-alignés alignés », création de l'OUA ou libération de l'Afrique par la lutte armée, I' « Afrique des colonels ». temps des conférences nationales souveraines, période de l'accouchement démocratique avec la mise sur pied de l'Union africaine, précédée partout par des ensembles régionaux comme la CEDEAO. la CEMAC, la COMESA. la SADEC,...
2.Le 21eme siècle s'est ouvert sur des grands espoirs suscités par les objectifs du millénaire, qui devaient apporter la satisfaction des besoins existentiels élémentaires par suite de la réduction de la pauvreté (initiatives PPTE). Il existe effectivement des efforts allant dans ce sens, mime si les objectifs du millénaire ont été revus 6 la baisse. Un phénomène nouveau a vu le jour : la présence de la Chine qui courtise l'Afrique à de meilleures conditions commerciales que celles des partenaires traditionnels de l'Afrique (pays occidentaux), non sans poser d'autres problèmes d'ordre religieux, foncier et écologique.
3.Récemment est née la révolution arabe facilitée par la technologie des réseaux sociaux. Il sied de lire ce qu'en dit le magazine « Jeune Afrique dans son numéro sur « I 'Etat de l'Afrique 2011 » : « Depuis l'unis,
épicentre du séisme qui secoua le monde arabe mais aussi l'Afrique, la demande d'un changement profond s'exprime avec plus ou moins d'acuité, selon le contexte local. Ce vaste mouvement de contestation et cette aspiration sans précédent à rattraper un retard criant dans bien des domaines (développement, libertés, démocratie, citoyenneté, Etat de droit, justice, etc.) sonne le grand réveil des peuples. Car il ne faut pas s'y tromper : si certains partis ont pris le train en marche pour peser sur leurs scènes politiques respectives, si certaines élites ont rejoint la sarabande des contestations, c'est bien de la base et non du sommet que provient cet élan irrépressible » (JA, 27, 201 I, p.3). «Les dirigeants africains ont-ils pris la mesure de ce bouleversement géopolitique majeur. cette « révolution en marche », pacifique, raisonnable, pleine d'énergie et d'idéaux ? Ils seraient en tout cas bien inspirés de méditer les leçons de Tunis et du Caire, car ils n'ont pas d'autres choix. Penser que. comme lors des conférences nationales qui ont essaimé en Afrique subsaharienne dans les années 1990, les aspirations démocratiques de leurs concitoyens pourraient être tuées dans l'oeuf sinon mises sous l'éteignoir, le temps que les choses se calment, serait une profonde erreur. Plus rien ne sera comme avant» (Ibid.). S'il est vrai que les choses ont changé profondément, et que plus rien ne sera comme avant, il n'est pas du tout certain que la gestion de ces démocraties naissantes devra s'opérer sur le modèle occidental ni qu'elles devaient naître au prix de tant de vies humaines et de destructions matérielles immenses. Les événements du printemps arabe n'ont pas dit leur dernier mot, notamment en ce qui concerne la suite des événements et les extrémismes religieux.
4. Nous avons mentionné les réseaux sociaux dans la révolution du monde arabe. L'Afrique subsaharienne aussi est entrée dans la culture médiatique, mime si ce n'est pas dans la mime mesure. C'est l'un des effets de la mondialisation avec son temps réel des événements, qui oblige a prendre des décisions rapides. L'Afrique, par suite de différents fuseaux horaires, subit les effets pervers de cette technologie, mais bénéficie aussi de ses bons effets. H faudra cependant déployer beaucoup d'efforts pour endiguer la gestion et ta maîtrise de l'information, qui crée insensiblement la « pensée unique », véhiculée par l'Occident.
5.Par ailleurs, cette mondialisation a eu des sur l'Afrique des effets négatifs au plan économique et financier. Fondé sur la loi du marché et sur la « propriété virtuelle», l'ordre économique mondial a connu une crise majeure qui a grevé les économies des nations plus fragiles et emporté les épargnes de leurs pays. Et puisque la mondialisation de l'économie n'avait pas pour centre l'homme mais le profit, les écarts n'ont cessé de se creuser entre les riches et les pauvres de chaque pays et dans chaque nation d'une part et, d'autre part, les biens produits ont augmenté sans que pour autant soient mondialisés la solidarité et le partage de ces biens. « La richesse mondiale croît en termes absolus. dit Benoît XVI. mais les inégalités augmentent. Dans les pays riches, de nouvelles catégories sociales s'appauvrissent et de nouvelles pauvretés apparaissent. Dans des zones plus pauvres, certains groupes jouissent d'une sorte de sur-développement où consommation et gaspillage vont de pair, ce qui contraste de façon inacceptable avec des situations permanentes de misère déshumanisante. « Le scandale des disparités criantes demeure » (Caritas in Veritate. n°22).
6.Les changements et les mutations de l'Afrique sont aussi dus au problème écologique. Si l'on regarde la carte de l'Afrique, on est impressionné par les grandes étendues de déserts au nord (tout le Sahara et les pays du Sahel) et au Sud (le Kalahari). II ne reste que la bande qui entoure l'Equateur de part en part, à représenter une zone verte (pratiquement la forêt équatoriale). II est dommage que la course aux armements au temps de la guerre froide, n'ait nullement aidé à reboiser le Sahara, reboisement qui n'aurait sans doute pas coûté le prix de trois missiles de croisière. Par ailleurs, la déforestation sauvage de la forêt équatoriale, dont les espèces rares sont envoyées outre mer en grumes non travaillées en Afrique, ne peut que poser des problèmes écologiques importants. Le réchauffement du globe terrestre est une réalité en Afrique. « La nature est à notre disposition non pas comme un tas de choses répandues au hasard, mais au contraire comme un don du créateur qui en a indiqué les lois intrinsèques, afin que l'homme en tire les lois nécessaires pour «la garder et la cultiver» (Gn 2, 15). Toutefois, il faut souligner que considérer la nature comme plus importante que la personne humaine elle-mime est contraire au véritable développement. Cette position conduit à des attitudes néo-païennes ou liées à un nouveau panthéisme : le salut de l'homme ne peut pas dériver de la nature seule, comprise au sens purement naturaliste. Par ailleurs, la position inverse, qui vise à sa technicisation complète, est également à rejeter car le milieu naturel n'est pas seulement un matériau dont nous pouvons disposer à notre guise, mais c'est I'oeuvre admirable du créateur, portant en soi une «grammaire» qui indique une finalité et des critères pour qu'il soit utilisé avec sagesse et non pas exploité de manière arbitraire» (Benoît XVI. Contas in Veritate, n°48).
7.Cette exploitation sauvage des ressources naturelles de l'Afrique par l'Occident et l'Orient nous amène à parler des différents partenariats qui existent entre l'Afrique et le Nord. II apparaît clairement que cc sont des partenariats des « matières premières ». Seules les matières premières comptent : /homme africain et son développement intégral importent peu. II est impossible dans ces conditions de créer un monde qui favorise et promeuve « le vivre ensemble », cher au Professeur André Riccardi. Pour que l'homme soit au centre des relations qui se tissent entre le nord et le sud par-delà l'exploitation des ressources matérielles, il faut promouvoir un partenariat de matière grise » du sud et du nord. Un tel partenariat favorisera une conception concertée de l'économie mondiale, qui vise à une répartition équitable des richesses de la terre.
8.Au plan religieux, les grandes confessions religieuses traditionnelles (Catholicisme, Protestantisme, Islam) connaissent un essor non-négligeable, suivant les régions : le nord étant habité surtout par de grandes poches de Musulmans, le centre par le Catholicisme, le sud par les Protestants toutes tendances confondues, l'ouest à égalité. Mais l'Afrique connaît le phénomène des sectes pentecótistes, évangéliques et Eglises dites de réveil. Ces dernières donnent surtout l'impression de vouloir déstabiliser les Eglises traditionnelles en exploitant abusivement une théologie du bonheur sur terre. Elles ont souvent les mèmes caractéristiques que le Prince des Apôtres énumère dans sa 2eme épître. II faut cependant souligner que le dialogue oecuménique et le dialogue interreligieux sont actifs en Afrique, surtout dans le secteur social. On serait incomplet, si l'on ne mentionnait pas, au plan religieux, les luttes ethnico-religieux au Nigéria, le drame du Darfour et la tragédie de la Somalie.
9. CONCLUSION
L'Afrique bouge, l'Afrique est en mouvement, l'Afrique est en mutations profondes : au plan économique où l'Occident et l'Orient se disputent l'hégémonie pendant que l'un et l'autre se limitent à un «partenariat de matières premières », là où les africains attendent un « partenariat de matière grise » plus profitable à l'Afrique, à l'Occident et à l'Orient ; au plan social, où l'Afrique paie très cher les divers programmes de réduction de la pauvreté ; au plan culturel où « la mondialisation de la révolution culturelle occidentale» (cf. Marguerite A. Peeters) menace d'extinction les cultures autochtones par suite de l'imposition de la pensée unique; au plan de la culture médiatique, où l'Afrique doit fournir beaucoup d'efforts pour donner elle-même son image à « consommer » à l'étranger ; au plan religieux, où l'Afrique doit se garder d'adopter sans discernement toutes les religions qui viennent déstabiliser sa foi au Christ, mais, grâce à une saine inculturation de l'évangile, se livrer à un dialogue fructueux entre le christianisme et la Religion traditionnelle africaine (RTA) ; au plan politique, où l'Afrique doit éviter de concentrer longtemps tous les pouvoirs du pays dans les mains d'un seul homme ou groupe d'hommes, et par les élections assurer l'alternance politique. Les vertus du «vivre ensemble» (A. Riccardi) des nations permettra sùrement à l'Afrique de se présenter la tète haute au « rendez-vous du donner et du recevoir» (L. S. Senghor) et de bâtir avec les autres
la civilisation de l'amour» (Paul VI).