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Michel de Virville

Direktor „Collège des Bernardins“, Frankreich
 biografie
Je voudrais tout d’abord vous donner quelques indications sur l’organisation du travail de ce Forum. Nous disposons de deux heures.
La première heure permettra à chacun des intervenants une première expression, de vous faire part de leurs interrogations, de leurs convictions. 
Nous vous donnerons ensuite la parole pendant la seconde heure pour formuler vos questions ces question leur permettront de vous répondre et de préciser ce qu’ils pensent, d’exprimer leurs orientations.
 
Deux remarques pratiques :
-  Au cours de cette première heure chaque intervenant disposera de dix minutes : je leur demande de respecter ce temps de parole que je marquerai avec mon téléphone.
-  Pour ce qui est de l’assistance, je vous invite à poser des questions, pas à exprimer vos convictions : l’objectif est de tirer pleinement parti de la réflexion des intervenants.
 
Il y a deux erreurs à ne pas commettre s’agissant de l’Intelligence artificielle :
 
-  Sous-estimer son potentiel : penser que finalement c’est une nouvelle mode qui va passer, une « bulle » qui va éclater. C’est vrai qu’actuellement son utilisation organisée dans les entreprises est encore limitée, mais c’est que cette technologie est nouvelle, il faut apprendre à s’en servir. Son émergence est, peut-être, la plus visible pour le grand public dans l’annonce d’une nouvelle génération de téléphones portables disponibles dès l’année prochaine avec des performances conversationnelles avec l’utilisateur surprenantes, mais aussi dans la capacité très nouvelle à transformer profondément les images, les vidéos, pour le meilleur et pour le pire... 
Il est important de garder à l’esprit qu’en utilisant un moteur d’IA « général » et en le nourrissant d’une documentation spécialisée, il est possible de construire des IAs spécialisées dans des domaines variés : par exemple dans la législation française, dans le déchiffrement de radios médicales, dans la fabrication de sièges d’avion, susceptibles de rechercher des solutions nouvelles fondées sur la documentation fournie.
Ne nous y trompons pas l’IA va avoir progressivement un impact puissant sur nos entreprises, notre société, sur la façon dont nous pensons et nous devons être vigilants : est-il possible de « garder la main », comment s’y appliquer ?
 
-  Mais il ne faut pas non plus surestimer son potentiel. Certains s’inquiètent de nous voir asservis par des intelligences supérieures à la nôtre, d’une apocalypse informationnelle, au point de vouloir établir un moratoire, de nous donner le temps d’en régler la production et l’utilisation. 
Certes nous sommes loin d’avoir vu jusqu’où cette nouvelle technologie va nous conduire, mais de quoi s’agit-il ? en structurant la mémoire de la machine pour lui permettre d’apprendre (les réseaux neuronaux) et en nourrissant cet apprentissage de volumes impressionnants de textes, on parvient à lui donner non seulement une capacité à dialoguer en langage naturel, mais aussi à faire un usage de l’ensemble des informations dont elle s’est nourrie. Elle fait alors preuve d’une puissance, d’une précision supérieure à nos propres capacités. Bien sûr cette performance est encore appelée à s’accroitre avec le progrès des dispositifs logiciels
 
Ce qui est frappant, surprenant c’est que cette capacité de communication et de raisonnement donne le sentiment d’un dialogue, alors même que tous s’accordent à reconnaître que les IAs sont dépourvues de conscience. Peut-être y a-t-il là d’abord de quoi faire preuve d’humilité : une part importante de ce que nous considérons être de l’intelligence quand c’est nous qui qui la mettons en œuvre, est susceptible d’être simulée par la machine et le plus souvent de façon beaucoup plus rapide et parfois beaucoup plus fiable.
 
 
Pourquoi est-il indispensable de donner une éthique à cette nouvelle technologie ? 
D’abord, parce qu’à l’évidence ce que produit la machine dépend de la façon dont on la nourrit : « garbage in, garbage out » ! Il nous faut maîtriser la façon dont l’« intelligence » est implicitement orientée.
Ensuite, parce qu’elle risque de nous emprisonner un peu plus dans le paradigme technocratique : notre expérience des réseaux sociaux devrait nous rendre vigilants : ces technologies qui démultiplient nos capacités à apprendre, à réfléchir, à communiquer ont des effets de structure sur nos consciences, nos relations, nos sociétés, nos économies.
 
De façon non limitative quelques éléments de cette algo-r-éthique : comment s’y prendre pour garder la responsabilité de nos décisions en faisant un plein usage de cette puissance ? pour respecter la vie privée de chacun ? pour bénéficier des échanges qu’elle permet sans susciter des ghettos nourrissant de fausses certitudes ? pour éviter de faire partager aux machines nos préjugés et nos discriminations ? Pour éviter qu’elle ne soit inaccessible aux plus démunis
Comment nourrissons-nous ces machines qui dévorent nos productions ?
Mais aussi comment ces technologies peuvent-elles nous permettre de prévoir et de décider plus vite, de faciliter l’accès de tous à une connaissance vivante, de nous accompagner dans un partage sans préjugés d’une socialisation enrichie ? Bref, peuvent-elles nous aider à « imaginer la Paix » ? 
 
Il est donc urgent de comprendre et de construire ensemble le mode d’emploi de la façon dont nous structurons et nous utilisons cette nouvelle réserve d’intelligence : nous sommes des personnes, construites par nos relations avec ceux qui nous entourent, nourries par la solidarité partagée avec eux : comment l’IA peut-elle nous permettre d’espérer d’être des personnes plus intelligentes, de l’être de façon plus partagée, mais aussi de savoir réduire les handicaps de ceux qui sont les plus défavorisés et non pas de les accroitre.
 
Pour revenir sur ce que je disais sur notre excès de confiance dans l’intelligence combinatoire, essayons d’exceller sur cette intelligence que nous sommes les seuls à pouvoir exercer : s’il n’y a pas de moi sans autre, si nous ne parlons jamais seuls, qu’est-ce que cela signifie pour notre utilisation de l’IA ?