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Olivier Roy

Orientalist und Politologe, Frankreich
 biografie
Vivre ensemble : parlons de valeurs et non de normes.
 
Lors des guerres de religion, au XVI ème siècle, les souverains ont tenté de faire la paix en organisant des débats, des colloques (Poissy, Augsburg), pour se mettre d’accord sur une vérité théologique, donc pour retrouver une unité de croyances et non pour promouvoir une tolérance envers la diversité. Ce fut bien sûr un échec.
 
Le débat aujourd’hui porte essentiellement sur les valeurs partagées plutôt que sur les croyances partagées. On ne pose plus le problème du vivre ensemble en terme de dogme, d’idéologie ou de vérité, mais en termes de valeurs. On parlera des valeurs de la république, des valeurs chrétiennes, des valeurs universelles.
 
L’idée est donc que si on partage les mêmes valeurs on peut vivre ensemble.
 
Mais n’est ce pas dans le fond ré-introduire par la fenêtre un dogme, un système de croyances. Les valeurs ne flottent pas dans l’air : elles ont un socle, une histoire, un passé.
 
Partageons nous les mêmes valeurs ? Et peut-être faut-il aller plus loin :  devons nous partager les mêmes valeurs ?
 
Au sens très large peut-être : tout le monde (enfin  presque) veut la paix. Mais dès que l’on pose la question suivante : Quelle paix ? à quelles conditions ? les divergences commencent à apparaître.
 
Le contrat social, qui est à la base de notre conception moderne de la démocratie, n’a pas été fondé sur une liste de valeurs, mais sur l’idée que les citoyens peuvent et doivent librement débattre sur le « bien commun » et donc que les élections par définition reflètent la diversité des options politiques. Le « bien commun » n’est pas défini par son contenu mais comme un objectif pour toutes les bonnes volontés.
 
En partant donc du constat qu’on ne partage pas nécessairement les mêmes valeurs, comment organiser le « vivre ensemble ». Je vois trois cas de figure :
-accepter les valeurs dominantes (ou présentées telles quelles), avec comme corolaire que ceux qui ne les partagent pas acceptent que leurs croyances particulières soient confinées dans l’espace privé. L’idée est alors que la loi incarne pas seulement la volonté (qui peut changer) mais l’identité même du groupe dominant (Identitarian public law).
-neutralisation de l’espace public et maintien de toutes les croyances dans le privé. C’est le libéralisme individualiste. L’État n’est qu’un arbitre et ne promeut pas d’autres valeurs que celles de la liberté.
- multiculturalisme : les croyances ne peuvent être que collectives et se référent à une tradition, donc il faut accepter la juxtaposition des communautés de croyance (avec ou sans hiérarchie). Toutes les croyances ont droit à être représentées dans l’espace public. L’Etat n’est alors qu’un arbitre.
 
Problème : pourquoi aucun n’est (plus) satisfaisant :
1) La liberté de conscience n’est pas juste le droit de garder ses idées pour soi, c’est aussi le droit de les affirmer en public. Accepter que l’Etat incarne un système de valeurs spécifiques qui s’imposent à tous est dangereux pour la démocratie. Car où commence et où finit l’espace public ? Quelle peut être la visibilité des pratiques religieuses de la posture individuelle (voile, soutane) à la manifestation collective (procession) ?
 
2) Les communautés religieuses ne partageant pas ou plus les mêmes valeurs, suite à la sécularisation et la déchristianisation demandent l’accès à l’espace public, et revendiquent le doit de  parler en tant que porteurs de valeurs différentes qu’elle considèrent néanmoins comme des valeurs universelles (fondées dans le droit naturel): Benoit XVI expose publiquement les principes non négociables, la vie (avortement, euthanasie), François demande l’accueil des migrants. 
2) le multiculturalisme ne fonctionne plus (et n’a jamais fonctionné) : les marqueurs identitaires (voile) ne sont pas l’expression d’une tradition mais d’une insertion plus individualiste  que communautaire dans l’espace public. Mais cela pose aussi la question du conflit de valeurs : droit à l’avortement, droits des LGBT…
 
Alors que faire :
Il faut se référer à des valeurs ouvertes et non fermées, et donc sortir d’une vision normative des valeurs pour aborder la question du bien commun. Ce qui suppose d’abord, le respect, l’écoute et le dialogue. Les valeurs ne sont pas des dogmes.
Ensuite évidemment il faut accepter l’idée qu’à un moment donné, il faut faire des choix, en particulier dans la loi. Mais le respect de la loi ne doit pas annuler le droit à la dissidence.