23 September 2024 16:00 | Collège de France – Auditorium Navarre
Discours de Fridolin Ambongo Besungu
Introduction
1. Nous vivons dans une époque de guerres dispersées à l’échelle planétaire. Un calcul rapide montre qu’il y a actuellement dans le monde entre 25 et 30 guerres ou zones des conflits dont au moins un tiers sont en Afrique. En particulier en RD Congo, nous vivons un terrible conflit qui date de 30 ans dans l’est du pays. Ce conflit tentaculaire implique plusieurs groupes armés et attise les convoitises aussi bien des pays voisins que d’autres acteurs régionaux et internationaux (ce qui a fait parler des guerres en RDC comme des « guerres mondiales africaines »).
La RDC, une guerre oubliée
2. Pourtant dans la presse et les médias internationaux, ce conflit congolais est souvent perçu comme une crise de zone secondaire par rapport à d’autres situations. Toutefois, il ne s’agit pas évidemment d’établir ici une classification des conflits plus ou moins importants, mais plutôt de s’apercevoir qu’il y a une même nature qui relie en effet toutes les guerres n’importe où elles éclatent.
3. Les guerres dans l’est de la RDC ont produit dans ces années plus que 6 millions des morts et presque quatre millions de déplacés internes. Il s’agit là du nombre le plus élevé dans le monde des
gens contraints de quitter leurs maisons à l’intérieur même de leur propre pays. Au-delà de cette facette numérique, l’aspect le plus douloureux réside dans l’ampleur et la durée de ce conflit. Au clair, après plus de trois décennies, on a vu grandir des générations qui n’ont pas connu un seul jour de paix. Ainsi, la guerre est devenue comme une partie du paysage de la partie orientale de pays et les gens se sont désormais habitués à la vie de guerre.
Vers un changement de narratif
4. Mais ce sombre tableau développe un autre narratif, différent de ce qui est généralement présenté. C’est dans la dynamique de la vérité dans la narration des conflits que lors de sa visite en RDC, le Pape François a voulu écouter directement les témoignages des victimes de la guerre et des atrocités. Cette expérience unique laisse découvrir ce qu’est vraiment la guerre : meurtres, viols, esclavages, corruption… A la fin de ses rencontres avec les différents témoins, le Pape a prononcé l’un des discours les plus clairs qu’on n’a jamais fait sur le conflit en RDC. Je le cite :
« Il s’agit des conflits qui forcent des millions de personnes à quitter leurs maisons, qui provoquent de très graves violations des droits de l’homme, qui désintègrent le tissu socio-économique, qui causent des blessures difficiles à guérir. Ce sont des luttes partisanes où s’entremêlent des dynamiques ethniques, territoriales et des groupes ; des conflits qui ont affaire avec la propriété foncière, l’absence ou la faiblesse des institutions, les haines où le blasphème de la violence au nom d’un faux dieu s’infiltre. Mais c’est surtout une guerre déchainée par une insatiable avidité de matières premières et d’argent, qui alimente une économie armée, laquelle exige instabilité et corruption. Quel scandale et quelle hypocrisie : les personnes sont violées et tuées alors que les affaires qui provoquent violences et morts continuent à prospérer ! »
5. La réalité du conflit congolais dans sa complexité est clairement et nettement exprimée ici. Il y a des raisons économiques qui sont derrière toute une série des conflits masqués à la fois comme « ethniques », « tribaux », « frontaliers », etc. Certes, il s’organise souvent toute une manipulation du langage qui pousse les esprits et les sentiments vers la haine et le conflit. Cependant, il ne faut pas oublier que depuis des années, il se développe dans l’est de la RDC une véritable « économie de guerre » à l’avantage d’un petit nombre des seigneurs de guerre et au détriment de la grande majorité de la population. Donc, la guerre est aussi devenue un business et les milices offrent un salaire à toute une génération de jeunes sans emploi, voire à des enfants. Aussi, ce n’est pas un hasard si dans la Province du Nord-Kivu les écoles primaires sont devenues des cibles militaires afin de contraindre les enfants à ne pas rêver d’un autre avenir que la guerre (et je profite de cette occasion pour remercier aussi la Communauté de Sant’Egidio pour son engagement dans l’accompagnement des enfants et d’autres personnes au sein des camps des réfugiés à Goma).
6. Dans ce panorama, il y a bien sûr de coûts économiques graves pour l’ensemble du Pays. Mais il convient également de commencer à parler des coûts humains qui entravent le développement de toute la société congolaise. Je pense que ce nouveau narratif qu’il sied de vulgariser, car souvent on oublie ces coûts humains. Or, la violence agit comme un virus qui circule dans la société et infecte très rapidement toutes ses couches. Ainsi, avec l’usage des réseaux sociaux, personne ne peut plus dire : « je ne savais pas ! ». En réalité, les images qui circulent surtout dans les smartphones des jeunes nous parlent d’une violence cruelle et absurde, mais également une violence que l’on peut toujours imiter et reproduire. Devant ce phénomène personne ne peut plus se dire être à l’abri, on est vraiment tous impliqué.
Oser imaginer la paix
7. Nonobstant cela, imaginer la paix dans un tel contexte demeure pour nous tous une nécessité. Mais comment le faire ? Permettez-moi de revenir encore sur le discours du Pape François à Kinshasa :
« Soyez, vous aussi, des arbres de vie. Faites comme les arbres qui absorbent la pollution et qui restituent l’oxygène. Ou bien, comme le dit un proverbe : “Dans la vie, fais comme le palmier : il reçoit des pierres, il rend des dattes”. Telle est la prophétie chrétienne : répondre au mal par le bien, à la haine par l’amour, à la division par la réconciliation. »
8. Cela revient donc au fait que la solution à ce problème se trouve en réalité entre les mains de tous et de chacun. À travers ses choix, chacun a la capacité de changer ce qui semble inexorable, comme la guerre, en une possibilité de paix. Mais nous avons besoin de :
1. donner la voix aux victimes et les écouter ;
2. ne pas penser qu’on pourra trouver des solutions de façon unilatérale : la Paix durable, on peut la construire seulement ensemble
3. changer la narration, en privilégiant les raisons de la Paix sur les désastres de la guerre.