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Nathalie Loiseau

Member of the European Parliament, France
 biografie
1) L’Union européenne, une formidable réussite. 
  • À entendre le débat public, à écouter les médias, on dirait que l’Europe n’intéresse personne ou qu’elle est la cause de toutes les insatisfactions. Ici en France on parle peu d’Europe et on en parle mal : tout ce qui va bien est le fruit du hasard, tout ce qui va mal peut lui être attribué. On la dit complexe, distante et on pense surtout en termes d’elle et nous, comme si nous n’étions pas tous Européens ou que l’Union européenne ne nous appartenait pas. 
  • L’UE est le fruit d’un pari fou, celui de la réconciliation franco-allemande. Celui qu’on aimerait voir revivre entre Israéliens et Palestiniens. C’est donc d’abord 80 ans de paix, mais aussi de prospérité, de liberté et de solidarité. 
  • Ceux qui l’ont quittée s’en mordent les doigts. Le Brexit devait régler tous les problèmes du Royaume-Uni, il n’a fait que les accentuer et en a généré d’autres.
  • Ceux qui veulent la rejoindre sont de plus en plus nombreux. Non seulement, et contrairement aux prévisions alarmistes permanentes, l’Europe a réussi chacun de ses élargissements, mais les pays qui frappent à notre porte sont de plus en plus nombreux. Leur candidature est vécue comme à chaque fois avec appréhension. Mais elle dit quelque chose de l’attractivité de l’Union européenne. Quelle autre construction politique au monde attire-t-elle de leur plein gré des Etats souverains au point qu’ils souhaitent la rejoindre ? Aucune. L’Europe a totalement renoncé à toute forme d’impérialisme depuis les années 60, contrairement aux accusations de néocolonialisme proférées à son encontre et surtout à contretemps.  L’importance relative des flux migratoires, y compris irréguliers vers l’Europe dit aussi la même chose. Qu’autant d’hommes, de femmes et d’enfants soient prêts à risquer leur vie pour venir en Europe dit quelque chose de notre image et de notre modèle et contrevient quelque peu au mythe de la révolte du Sud global. Ce n’est ni vers la Russie, ni vers la Chine qu’aucun exilé ne se dirige.
 
2) Pourtant l’Europe doute de son avenir et redoute son déclin.
  • les principes fondamentaux sur lesquels elle s’est construite sont de plus en plus contestés : 
  • l’ordre international basé sur des règles est au cœur du projet européen, qui est un projet de règle de droit. Or c’est la loi du plus fort qui reprend le dessus mais aussi l’opportunisme d’acteurs dits transactionnels et qui se tournent vers le plus offrant, au mépris des alliances et des engagements collectifs. Au sein même de l’Europe, la Hongrie d’Orban contredit des engagements et des choix faits à 27.
  • la croyance dans le libre-échange commence à ressembler à une règle que l’UE serait seule à appliquer, la Chine et les Etats-Unis ayant depuis longtemps interprété à leur manière les règles de l’OMC. Idem sur le dogme de la concurrence libre et non-faussée, qui maintient les entreprises européennes en-dessous de la taille critique nécessaire dans la concurrence mondiale.
  • La croissance européenne s’érode, la productivité des Européens s’amenuise, l’innovation a déserté le Vieux Continent. il n’est qu’à lire le rapport de Mario Draghi pour que le constat saute au visage : si rien n’est fait, l’Europe est condamnée à une « lente agonie ».Le constat est sans appel : nous sommes en train de décrocher et bientôt de couler. Si rien n’est fait l’Europe est condamnée à « une lente agonie ». La crise de croissance et de productivité en Europe n’est pas conjoncturelle. Elle a des causes profondes, parmi lesquelles la perte de vitesse dans l’innovation, notamment numérique, le manque d’investissements, l’excès de fragmentation, les barrières nationales qui font parfois du marché unique un leurre et l’absence de coordination à tous les niveaux. Pendant ce temps, le revenu par habitant a augmenté deux fois plus vite aux Etats-Unis que dans l’UE depuis 2000. Entre 2008 et 2021, 147 licornes ont été créées en Europe. 40 d’entre elles ont transféré leur siège aux Etats-Unis.
  • Dans le domaine de la défense, la guerre d’Ukraine est un révélateur de la fragilité de la paix sur notre continent : une guerre d’agression sans raison et sans légitimité se poursuit à nos portes. Nous avons fait le choix d’aider l’Ukraine sans entrer en guerre nous-mêmes et sans développer une véritable économie de guerre. Si l’on regarde les choses en face, nous sanctionnons la Russie à moitié et nous aidons l’Ukraine à moitié. Nos propres dépendances nous sont apparues au visage : dépendance au gaz russe, aux importations chinoises, à la sécurité américaine. 80 % des achats européens en matière de défense depuis l’invasion russe ont été effectués hors d’Europe, les 2/3 aux Etats-Unis.
  • La question migratoire obsède les opinions publiques et sape la crédibilité des responsables politiques. Le désir de contrôler qui entre est qui s’installe sur le territoire européen est aujourd’hui partagé par une majorité d’Européens et on aurait grand tort d’en faire « un sujet d’extrême-droite ». La question migratoire s’inscrit dans une interrogation plus vaste : qui décide du destin de l’Europe ? Les Européens ont-ils encore la capacité de préserver leur modèle et de se faire respecter, ou bien d’autres acteurs décideront-ils toujours à leur place ?
 
3) Le paradoxe est qu’au moment même où les Européens connaissent le doute, on n’a jamais eu autant besoin d’Europe.
Pour innover, pour investir, pour se protéger, la dimension européenne est essentielle. Face au changement climatique, recourir à des énergies propres, développer une filière de véhicules électriques et de batteries requiert une impulsion européenne forte. De même, en matière de telecoms et de numérique, nous ne pèserons pas face aux géants chinois et américains tant que nous n’aurons pas décloisonné l’épargne et l’investissement en Europe et tant que nous empêcherons la naissance de champions européens par une politique antitrust trop restrictive. 
L’Europe a pris sa responsabilité en encadrant le numérique et elle a bien fait. Elle a montré l’exemple en adoptant le pacte vert et là encore elle a eu raison. Elle a choisi d’aider l’Ukraine de façon autonome et de s’engager sur la voie d’une défense européenne moins timide, elle n’a pas le choix. Mais ce sont des investissements massifs, un effort financier sans précédent et une volonté politique à la hauteur qui lui permettront de redresser la tête. Mario Draghi cite le chiffre de 800 Mds d’investissements privés et publics par an pour ne pas décrocher. C’est énorme. Mais quelles seraient les conséquences si nous n’agissions pas ? Je le cite à nouveau : « Il nous faut abandonner l’idée que seule la procrastination peut préserver le consensus ».
 
On répète souvent que la construction européenne repose sur la méthode des petits pas et que l’Europe ne progresse réellement que par les crises. L’avenir de l’Europe doit pourtant  se construire sans attendre de nouvelles crises ni s’en tenir aux petits pas. C’est là tout le défi qui nous attend.