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André Vauchez

Medieval Historian, France
 biografie
François d’Assise et la paix , des origines à nos jours
 
Le monde contemporain a découvert en François d’Assise le premier homme en Occident à avoir compris et mis en relief le lien existant entre la pauvreté, l’humiliation subie et la guerre. Le constat qu’avait fait en son temps le Pauvre d’Assise s’appuie sur deux convictions fondamentales : la première est la nécessité d’associer le service des personnes en état de faiblesse (indigents, handicapés, marginaux, prisonniers, etc.) à l’action pour la paix : leur apporter de l’aide ,leur témoigner estime et amitié pouvait être le début d’un processus de réintégration des exclus dans la société et les détourner de la violence , comme le montre l’histoire du loup de Gubbio ,qui ne vaut pas seulement pour les rapports entre les hommes et les animaux ; la seconde était le désir de contribuer à la résolution des conflits par l’écoute et la prière, comme on le voit en 1226 lorsque François réussit à amener le podestat – c’est-à-dire le chef des autorités municipales – et l’évêque d’Assise à se réconcilier et à trouver un compromis mettant un terme à leurs dissensions. De même en 1219, pendant son séjour à Damiette, en Egypte, où il avait rejoint l’armée des croisés qui assiégeait la ville, il avait pris conscience du fossé qui séparait les chrétiens des musulmans et du rôle négatif joué par les conflits religieux dans l’affrontement entre les deux camps. Aussi se rendit-il, sans armes et accompagné d’un seul frère, auprès du sultan d’Egypte, al-Kâmil, pour le convaincre de renoncer à la guerre. Nous ne connaissons pas la   nature précise des échanges qu’ils eurent à cette occasion, mais il semble bien que François ait mis l’accent sur la fraternité universelle des enfants de Dieu et sur la nécessité pour les fidèles des deux religions – islam et chrétienté – de renoncer à la violence qui caractérisait leurs rapports dans le monde méditerranéen de l’époque. Ce message ne fut entendu ni d’un côté ni de l’autre et finalement les chrétiens furent définitivement chassés de la Terre Sainte avec la chute de Saint-Jean d’Acre den 1291.
 
Les rapports entre les deux religions demeurèrent conflictuels et le sont restés jusqu’à nos jours. Mais, au XXe siècle, un homme – Louis Massignon (1883-1962)  - tenta de renouer entre elles un dialogue pacifique en revenant à l’esprit de la démarche franciscaine. Père de l’islamologie française, ce brillant intellectuel fut en effet un précurseur dans ce domaine : ayant appris l’arabe pendant ses études à la Sorbonne puis à l’occasion d’un séjour au Maroc, il s’installa au Caire, puis à Bagdad où il découvrit le chiisme, ainsi que les écrits mystiques d’Al Hallaj, un soufi crucifié en 922 par ses coreligionnaires auquel il consacra sa thèse, qui évoquait pour lui la figure du  Christ. En 1916, il fit son entrée à Jérusalem avec les troupes anglaises et le fameux Lawrence. Il devait garder par la suite un attachement très fort pour les Lieux Saints, pour lesquels il revendiqua jusqu’à la fin de sa vie un statut international. Professeur d’islamologie au Collège de France en 1926, Massignon forma de nombreux élèves talentueux, comme Henri Corbin et Roger Arnaldez, à l’étude de la spiritualité et de l’histoire du monde musulman, qu’il contribua à faire mieux connaître par ses propres travaux. Sur le plan religieux, il adhéra en 1926 au Tiers-ordre franciscain et, avec un certain nombre d’amis chrétiens -hommes et femmes-, il fonda une confrérie très particulière à laquelle il donna le nom de « Badalyia » (substitution, en arabe). Il s’agissait d’un groupe de prière dont les membres s’offraient à Dieu en substituts pour le salut des musulmans au milieu desquels ils vivaient. Cette démarche s’inspirait d’un passage de la Ière règle de S.François, qui avait encouragé ses frères à séjourner , quand ils le pouvaient, au milieu des musulmans sans chercher à leur annoncer directement l’évangile, mais en menant à leurs côtés une vie discrète sous le signe de la prière et du service.  Elle était fondée sur la croyance dans la vertu de la « compassion réparatrice », qui consistait à consacrer son existence à favoriser une paix sereine entre chrétiens et musulmans. Cette initiative fut approuvée en 1937 par le pape Pie XI et elle devait porter ses fruits à la génération suivante avec la déclaration Nostra aetate  du concile Vatican II, promulguée par Paul VI en 1965. Celle-ci s’inscrivait dans la ligne d’une idée-force de Massignon que l’on désigne sous le nom d’Abrahamisme , selon laquelle les religions monothéistes qui se réclament d’Abraham -judaïsme, christianisme et islam – devaient amener leurs fidèles à se respecter les uns les autres en tant que croyants et à ‘accorder, en cas de besoin, une hospitalité mutuelle.
 
Dans un contexte différent, dans l’Europe de l’après-guerre et de la "Guerre froide", un important mouvement pacifiste se développa en Italie Sous l’impulsion d’un philosophe d’inspiration chrétienne, Aldo Capitini, eurent lieu, tous les ans à partir de 1961, des « Marches pour la paix » qui conduisaient des foules nombreuses à se rendre à pied de Pérouse à Assise en invitant les puissants de ce monde à faire la paix,et non la guerre. Le choix d’Assise n’est évidemment pas dû au hasard et faisait référence à l’action de S.François en faveur de la paix ,et la basilique de S.François et le « Sacro Convento » attenant devinrent alors des hauts lieux du pacifisme militant. Le mouvement déclina à partir des années 1980, mais le pape Jean-Paul choisit de le relancer, dans une perspective différente, en invitant des représentants de toutes les religions du monde à se réunir à Assise, en octobre 1986, pour prier ensemble et rechercher les voies d’une pacification du monde, tant il est vrai que les religions ont souvent été à l’origine de la violence tout au long de l’histoire. 124 personnalités représentatives de différentes confessions se retrouvèrent là pendant trois jours et soulignèrent dans un document final la nécessité de parvenir à une coexistence harmonieuse entre les diverses croyances, dans un monde où des femmes et les hommes de plus en plus nombreux sont appelés à se déplacer d’un continent à l’autre et à faire l’expérience du dépaysement et parfois du rejet lié à leur condition d’étrangers. L’accent y fut mis sur l’unité du genre humain et sur le fait que les différences existant entre les hommes étaient moins importantes que ce qu’ils avaient en commun. En 1289, Jean-Paul II organisa à Assise une seconde rencontre du même type « pour la justice, la paix et la sauvegarde de la création » et l’on se mit dès lors à parler d’un « esprit d’Assise », caractérisé par une recherche passionnée de la paix à travers le dialogue. Ainsi, de nos jours, Assise est devenu un espace sacré de la contemporanéité, dédié à la paix et au dialogue inter-religieux. 
 
Pour conclure, il me paraît important de noter que, dans l’invitation adressée par ce pape à toutes les religions du monde, apparut pour la première fois une référence explicite à l'attitude de François face aux problèmes écologiques. Ce dernier fut en effet un artisan infatigable de la paix sociale à travers son choix de la pauvreté pour lui et les siens, le pionnier du dialogue interconfessionnel par sa rencontre avec l’islam, mais également un poète sensible à la beauté et à l’harmonie du monde et un visionnaire qui avait perçu la nécessité pour l’humanité de faire la paix avec la création, en en respectant les équilibres fondamentaux.