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Emmanuel Macron

Presidente de la República Francesa
 biografía

 Mesdames et messieurs, en vos grades et qualités,

 
Je veux vous dire combien nous sommes heureux et fiers de vous accueillir toutes et tous pour vos travaux. Et je veux remercier mes amis de la communauté de Sant’Egidio, Monsieur le Président, Monsieur le fondateur, cher Andréa, pour cette initiative et vous dire l’immense fierté qui est la nôtre de vous avoir ici et de pouvoir réfléchir. Venant de tous les continents, de toutes les religions et associant nos jeunesses.
 
Cher Andréa, je vous prenais pour un ami, et me demander de venir parler pour conclure un tel panel est évidemment plus qu’un défi, parce que tout a à peu près été dit. Et des choses les plus pertinentes.
 
Mais, je dois dire que néanmoins, vous m’offrez une occasion unique dans la vie d’un dirigeant contemporain, c’est que là où tant de notre temps est dédié à imaginer les formes possibles de guerres et les innovations pour faire la guerre, vous m’invitez à parler quelques instants pour imaginer la paix. Et donc merci infiniment pour cette respiration.
 
La question étant de savoir si la norme ne devrait pas être au fond inversée. Je vous remercie d’être là, je le disais et nous étions il y a deux ans ensemble à Rome, c’est là que l’idée est née, mais au-delà de l’honneur que j’évoquais, je crois que c’est un retour aux sources quelque part pour vous.
 
La tradition rapporte que votre figure tutélaire, Sant’Egidio a vécu en France, au 6ᵉ siècle et ce retour aux sources, de manière paradoxale, est une première depuis 1968. Et Paris, Madame la maire l’a admirablement rappelé, comme monseigneur ULRICH aussi, est une ville profondément attachée à la paix. Parce que profondément marquée par les guerres, à plusieurs reprises, au fil des siècles. Et il ne s’est pas toujours trouvé dans l’histoire des Saintes-Geneviève pour protéger notre capitale des Huns, parfois, nous fumes pris, puis libérés et nous avons célébré et commémoré ensemble, il y a quelques semaines, les 80 ans de la libération de Paris.
 
Vous voilà donc, ici, pour imaginer et travailler toutes et tous ensemble, à imaginer, donc, la paix, dans un contexte, et vous l’avez rappelé, les uns et les autres, où la guerre revient à un niveau inédit.
 
Une cinquantaine de conflits répertoriés à travers le monde. Le retour de la guerre sur notre continent européen, depuis maintenant plus de 10 ans en vérité. Mais sous une forme particulièrement intense depuis février 2022. Une guerre terrible au Proche-Orient, depuis les attaques terroristes du Hamas le 7 octobre, puis les bombardements sur Gaza qui y sont menés et la guerre à Gaza est aujourd’hui au sud-Liban. Et de l’Afrique des grands lacs, jusqu’à tant et tant de régions du monde.
 
La guerre semble roder à nouveau, remettre en cause l’héritage moral et politique qui était le nôtre et sortait du 20ᵉ siècle et montre combien la paix dont nous parlons aujourd’hui est le véritable combat. Et c’est celui que vous menez depuis le début. Celui qui par le dialogue, la médiation, du Mozambique à tant de place, a fait votre réussite et justifie pleinement les appels du Grand Rabbin KORSIA, il y a un instant.
 
Néanmoins, alors même que la guerre revient sous toutes ces formes et qu’elle soit d’ailleurs le fruit d’impérialisme nationaliste, de mouvements terroristes, alors même qu’elle se fait parfois, vous l’avez dit, au nom des religions, auquel est la conséquence du dérèglement contemporain, qu’il soit climatique ou technologique, il y a des sources d’espérance. Celle par lesquelles l’unanimisme se fait qui permet de bâtir les grands accords que nous savons encore trouver, comme en effet celui pour le climat. Ce que nous avons vu il y a quelques semaines ici même à Paris. Autour de ces Jeux Olympiques et Paralympiques, celui, Monseigneur ULRICH l’évoquait, que nous avons tous vu depuis 5 ans autour de la reconstruction de Notre Dame.
 
Et donc, oui, nous sommes encore capables de porter des grandes illusions, de mener des grands combats justes, qui permettent de circonvenir la guerre qui permettent de la mettre entre parenthèse ou en tout cas de construire quelque chose de positif. Alors beaucoup de choses ont été dites depuis tout à l’heure et j’ai un discours très bien fait qui m’a été préparé, mais je ne vais pas vous répéter ce qui a été dit.
 
J’essayais en vous écoutant, au fond, de réfléchir, et j’avais juste quelques remarques que je voulais faire. En effet, imaginer la paix semble être un défi parce que la paix est quelque chose de beaucoup plus précaire et apparemment moins justifiée que la guerre. Réfléchissons, une guerre lorsqu’elle est menée, avec les limites que vous évoquiez, parce qu’au moment où on la lance, on pense pouvoir à chaque instant l’arrêter, la guerre a toujours une légitimité très forte, elle corrige une injustice. La guerre est lancée pour retrouver un territoire qui a été pris et, qu’elle s’appuie sur un révisionnisme historique ou une pureté ethnique, elle est forte d’une justification profonde. La guerre parfois est sainte, vous l’avez dit. Et donc il y a une force extrême dans la guerre, et plus la guerre avance, plus sa force est là. Car certes, si la lassitude des combattants peut s’installer, les martyrs de la guerre la justifient chaque jour d’avantage.
 
Céder quelque chose à la guerre, c'est trahir ceux qui ont combattu à nos côtés hier. À l’inverse, la paix à une forme de précarité ontologique, profonde, parce qu’elle est faite de renoncement.
 
Et parce que la paix est astable, au moment même où on est plongé dans un conflit, est la chose la plus difficile à penser, parce qu’elle est ce qui contrevient le plus à notre quotidien. Faire la paix, c’est trahir. Faire la paix, c’est ne pas honorer tous ceux qui sont tombés pour une cause aux côtés de laquelle on se trouvait et qui justifiait ce combat. Faire la paix, c'est renoncer à quelque chose qui a justifié le début des hostilités.
 
C'est pour ça qu'en effet, nous parlions ensemble il y a deux ans, d'une paix qui est toujours impure, de quelque chose qui se fait sur des compromis, des acceptations. Mais la paix est toujours infiniment plus fragile en cela, même à partir du moment de la seconde où la guerre est revenue.
 
C'est d'autant plus vrai dans le monde où nous vivons, parce que ce monde est fait au fond d'une tyrannie de l'émotion négative. Je l'ai souvent dit ces dernières années, et plus je pratique la charge qui m'a été confiée, plus j'en ai la conviction. Nous vivons dans un monde où, précisément, la capacité à dialoguer, à penser et bâtir la paix ou des choses utiles est menacée parce que de plus en plus de nos compatriotes, mais notre planète, nous tous, vivons dans un espace, dans un ordre public où la hiérarchie des choses a changé. C'est un ordre public numérique où beaucoup de choses se déterminent et où l'argumentation est toujours moins forte que l'émotion et où l'émotion négative est toujours plus puissante que l'émotion positive. Si vous prenez cet ordre de mérite tel qu'il est en train de s'installer dans le monde, rien n'est plus puissant pour bouger les choses que l'émotion négative. Cet ordre-là, celui qui prévaut dans nos réseaux sociaux, est un formidable instrument de guerre. C'est un formidable levier pour ne jamais pouvoir imaginer la paix. Car chaque jour d'une guerre se produit une image négative qui justifie de la poursuivre. Car chaque jour, dans des sociétés où le climat de guerre, pour paraphraser cher Andrea, il y a des images qui justifient de ne plus pouvoir accepter l'autre, de ne plus pouvoir tolérer ces images insupportables. Ce qui était une violence, une part du mal qui a toujours existé dans nos sociétés, parce qu'il se diffuse par là, parce qu'il est donné à voir sous cette forme, devient insupportable, implacable et au fond, ne permet plus de rouvrir les choses.
 
Alors face à cela, imaginer la paix est un drôle de défi. Il me semble qu'il y a au moins trois choses que nous devons faire.
 
La première, c'est une question de regard. Plusieurs d'entre vous l'ont dit, je crois que c'est le Grand-rabbin qui parlait d'obsession humaniste. Vous avez évidemment, à plusieurs reprises, parlé de respect, de dignité, mais j'ai été frappé ces dernières années et je suis frappé dans nos sociétés de voir à quel point la guerre prend racine dans la déshumanisation, et c'est ça qui la nourrit. Il y a dans nos sociétés aujourd'hui une capacité qui repose justement sur ce fracas, cette montée des émotions négatives, sur l'ignorance, sur la séparation qui se fait progressivement à déshumaniser l'autre ou l'étranger et encore davantage l'ennemi.
 
Quelques jours après l'attaque terroriste du 7 octobre, alors que les bombardements avaient déjà commencé sur Gaza, je rencontrais les équipes de l'UNRWA et plusieurs, comme on peut l'imaginer, étaient bouleversés, certains de leurs collègues ayant déjà été tués. Quand je leur demandais : « mais comment on peut en arriver là ? », plusieurs étaient venus quinze ans, vingt ans avant sur le territoire de Gaza et me disaient  - revenant quelques mois, parfois pour certains, quelques années à peine avant le ces terribles actes terroristes et cette guerre – :  « ce qui nous a le plus frappé, c'est qu'il y a vingt ans, à Gaza, il n'y avait pas une famille palestinienne qui ne parlait pas l'hébreu et que dans les colonies voisines, il n'y avait pas une famille qui ne parlait pas l'arabe ». Ils se connaissaient, ils se comprenaient, ils parlaient leur langue et au fond, derrière les rivalités, parfois les haines qui s'étaient installées, il y avait la connaissance de l'autre, le respect, la patience d'une culture, ce regard. Et plusieurs d'entre eux m'ont dit : « Quand nous sommes revenus, ils ne se connaissaient plus ». Là où à Gaza, qui est sans doute l'un des territoires les plus jeunes de notre planète, tous ces jeunes nés ces dernières années ne parlent plus l'hébreu. Et de l'autre côté, tous les jeunes Israéliens qui sont là, ne parlent plus, ne connaissent plus les Palestiniens. Ils sont devenus l'un pour l'autre, pas simplement l'étranger, peut-être ce qui était l'ennemi chez leurs parents, mais des bêtes. Un processus lent, sournois, de déshumanisation s'est joué.
 
C’est le même processus qu'on voit à l'œuvre dans nos sociétés quand il y a l'essentialisation de certains de nos citoyens parce qu'ils sont juifs et que, ce faisant, leur humanité devient niée. Parce que tout se simplifie, tout s'écrase. Ce conflit insupportable, cette guerre atroce dont nous voyons les images, ils en sont les responsables. On ne regarde plus leurs visages. Et tel étudiant, tel autre dans la rue, vous l'avez dit, monseigneur, tout à l'heure avec des mots très forts, en parlant de jeunes manifestants, et nous le voyons, nie l'humanité de l'autre.
 
Je crois que le premier devoir pour pouvoir commencer, c'est avant même d'imaginer la paix, ce besoin de réhumaniser et donc de connaître, de comprendre, d'avoir la patience, de regarder, d'apprendre la langue. Et ce chemin, ça paraît si trivial, est indispensable : partout où nous avons les signaux faibles de cela, le drame est déjà là et s'annonce et la guerre devient inarrêtable. Donc, partout où on peut – et les religions que vous représentez ici jouent un rôle fondamental à cet égard, et la France s'honore de les y aider, en particulier au Proche-Orient – partout où on peut sauver une école, protéger une classe, on sauve un peu de ce chemin possible. Le regard, donc, ré-humaniser d'abord.
 
La deuxième chose, c'est la coexistence et la reconnaissance. Au fond, quand on fait une guerre, c'est que l'on veut supprimer l'autre parce qu'il est devenu insupportable, soit chez moi ou dans un endroit que je considère comme étant chez moi, soit dans un territoire qui me revenait et qu'il a pris, soit à côté. Finalement pas tant de solutions que cela ; si les technologies contemporaines et certains esprits du moment peuvent vous dire : « il y a d'autres solutions beaucoup plus simples », certains vous disent : « ne perdez pas de temps à tout cela, on va aller vers la planète Mars.
 
Ceci existe, certains le portent avec beaucoup de force. C'est frappant d'ailleurs dans ces mouvements qui peuvent être philosophiques, libertariens, dans ce que portent plusieurs entrepreneurs, y compris les plus réputés, sur lesquels parfois vous communiquez, mais qui ont d'autres projets. Leur grand projet, c'est Mars : ça dit beaucoup de choses, notamment ne nous embêtons plus avec ces guerres, avec la capacité à coexister ou avec la place de l'autre, on va trouver un nouvel espace. Nous qui ne savons pas comment bâtir la paix dans un espace aussi petit que Gaza, à coup sûr, on va conquérir une autre planète et faire quelque chose de beaucoup plus harmonieux.
 
Solution à laquelle je ne crois pas tellement, vous l'avez compris. Il y a une autre solution qui est de totalement détruire l'ennemi. Quand on commence une guerre, pour pouvoir l'arrêter, il faut la destruction de l'autre. Évidemment, avec l'effondrement moral, l'impossibilité et souvent l'épuisement qui va avec. Comme vous, j'ai vu beaucoup de dirigeants, cher Mario ces dernières années, me disant : « J'arrête quand je veux, je finis quand je veux », et ils sont encore là pour parler de ces guerres.
 
La paix n'est possible qu'au moment où chacun ou chacune des deux parties dans la guerre comprend qu'il va falloir trouver un chemin de coexistence et de reconnaissance, c'est à dire que dans un espace donné, avec les impuretés évoquées, rien ne sera parfait. Je vais reconnaître le droit à vivre de celui qui a été jusque-là mon ennemi, sa possibilité d'être, et nous allons devoir, si ce n'est vivre ensemble dans l'harmonie, habiter là. Et pour ce qui se joue aujourd'hui au Proche-Orient, c'est ça la clé. Tous ceux qui expliquent et qui font croire à qui que ce soit que la solution est dans la destruction de l'autre, créent la guerre éternelle.
 
La paix n'est possible que dans la coexistence et donc dans ce qu'il y a de plus difficile. Dans ce moment-là, il y aura une place, une terre, un Etat, une coexistence, la reconnaissance de l'existence de chacun, la reconnaissance du droit à vivre en paix de chacun. Et c'est vrai dans tous ces espaces où la guerre a pris possession. Ce besoin de reconnaissance, cette nécessité de la coexistence et de la reconnaissance est indispensable pour pouvoir commencer à imaginer la paix. Et c'est souvent parce que justement, compte tenu de l'ordre de mérite que j'évoquais, l'émotion négative est toujours là et l'emporte, que la capacité à imaginer, à supporter même le déséquilibre qui va avec la coexistence. Quoi de plus difficile que d'habiter à côté de mon ennemi ? Chacun croit qu'il y a une solution plus simple, le détruire, non ?
 
Ce besoin de penser, de construire la coexistence, la reconnaissance qui va avec, ce faisant, d'accepter le visage de l'autre. L'existence et la place de l'ennemi est indispensable. Et c'est pourquoi, et c'est ma troisième et dernière remarque, l'imagination est si importante.
 
Il y a deux ans, on criait, à Rome, c'était le cri de la paix. Là, vous nous invitez à imaginer et c'est beaucoup plus difficile. Mais je voulais essayer, avec vous, de me repencher sur ce qu'il y a derrière ce verbe que vous avez choisi. Précisément, imaginer, ce n'est pas répliquer. Vous faisiez référence à ces très beaux cours qui ont été republiés récemment de Paul Ricœur et qu’il avait fait à Chicago dans des années qui étaient difficiles pour lui, où il a fait ce long cours sur l'imagination. L'un des grands distinguos autour duquel il fait son cours sur l'imagination, - il le fait donc en anglais, c'est à Chicago - , c'est entre picture et fiction. L'imagination est du côté de la fiction, c'est à dire une image qu'on invente, une capacité à avoir une médiation dynamique, poétique et pratique, dit il. Là où la picture, c'est l'image, la copie, quelque chose qui reproduit ce qui a déjà été et un élément de référence. Ce que je veux dire par là, c'est que l'imagination est une fonction de représentation, mais très différente de celle par laquelle on copie ou on reproduit. Elle bâtit une image dans laquelle on peut se retrouver, dans laquelle le réel aura des éléments de ressemblance, d'harmonique. Mais elle est éminemment nouvelle, dynamique et poétique. C'est ça la force de l'imagination, et c'est ce qui différencie le copiste du créateur.
 
Je crois que l'époque que nous vivons, où il y a beaucoup d'experts est peut-être une époque où nous avons trop de copistes et pas assez de créateurs. Parce que nous sommes toujours les experts d'un monde passé par définition. L’expertise se bâtit sur quelque chose qui a déjà été. Et on pense toujours qu'on va trouver les solutions d'un monde inédit en regardant ce qui a été fait par le passé ou en continuant les mêmes rites, les mêmes formes, les mêmes choses. Je ne crois pas. Pire encore. En nous mettant du côté du copiste, on nourrit une forme de nostalgie de quelque chose qui a été, qu'on croit plus heureux. Et je crois que la solution n'est pas là. Elle est plutôt, en effet, vous avez raison, du côté de l'imagination, et on le voit dans beaucoup de nos sociétés qui sont prises par ce climat de guerre. La réponse qui s'impose, elle monte partout en Europe, elle est nostalgique. Elle se fait par l'identité. J'entendais beaucoup ce mot. On a une identité, elle est faite d'histoires. Elle est beaucoup plus un torrent qui charrie beaucoup de choses différentes qu'une fixité. Mais l'identité et l'obsession de l'identité a quelque chose du copiste. L'étranger vient me bousculer. La modernité et ses transitions viennent me bousculer. Ce climat de guerre, j'y réponds par une attitude de copiste. Je vais aller rechercher ce que je connais, ce qui a déjà été, ce qui était là et me rassure.
 
A l'inverse, je crois que l'audace de celui qui crée, qui imagine, c'est celui en effet d'une volonté dynamique, de cette puissance, de cette médiation dynamique, poétique et pratique, pour reprendre les termes de Ricoeur. Cela s'inscrit dans la continuité de Searle aussi, qui est de se dire je vais penser quelque chose de nouveau qui, quoique m'inscrivant dans une tradition évidemment respectueuse de là où je suis, m'aide à penser le nouveau. C'est pourquoi l'imagination est en effet indispensable à la paix. Il ne peut pas y avoir de nostalgie de la paix parce que la paix, par définition, sortant d'une guerre qui n'existait pas avant, ne peut procéder que d'un nouveau qui la balaye, et elle est donc une fonction d'imagination, la capacité à trouver peut-être des compromis, des solutions nouvelles, mais elle est une volonté de dépassement vers le nouveau. Et avoir la force d'imaginer la paix, c'est donc se mettre du côté en effet de la paix imaginée plutôt que de la paix nostalgie, de la volonté plutôt que de l'identité, du goût de l'avenir plutôt que de l'obsession du passé, tant de nos guerres étant nourries par une obsession du passé, voire un passé fantasmé. Imaginer la paix, c'est donc bâtir des formes nouvelles, territoriales, organisationnelles, conceptuelles, éthiques. Vous l'avez dit, monsieur le secrétaire perpétuel, en parlant de nos innovations, sans lesquelles nous ne pourrons pas mettre fin à ces guerres. Et c'est pourquoi, et je terminerai sur ce point, nous avons en effet aujourd'hui un immense besoin d'imagination. Au fond, notre continent, au sortir du conflit le plus terrible qu'il a eu à connaître et de l'effondrement moral qui suivait la Shoah et la pire guerre civile européenne, a su imaginer. Nous avons imaginé l'Europe qui est la création la plus inédite qui soit, une création politique non hégémonique, bâtissant la paix et la prospérité, mutualisant ce par quoi la France et l'Allemagne jusque-là se faisaient la guerre, en commençant par le charbon et l'acier, les deux armes de destruction. Il n'y avait rien de plus audacieux. Tous les experts au sortir de la deuxième guerre mondiale. Une folie. Ne faites jamais ça. Les prudents auraient dit ne faites jamais ça, la guerre va revenir. Les instruits disaient à juste titre : vous êtes des fous. Il a fallu des imaginatifs pour penser cette paix européenne. Il nous faut être suffisamment imaginatifs pour penser la paix de demain. Une paix en Europe sous une forme nouvelle. Qui pensera avec elle, pardonnez Monseigneur, ceci n'est pas une insolence, mais un hasard, la possibilité de l'outre-manche, la réconciliation avec les Balkans et la réalité d'une Europe dans sa forme géographique qui n'est ni tout à fait l'Union européenne, ni résolument l'OTAN. Nous essayons de cheminer avec cette communauté politique européenne, mais il nous faudra penser une nouvelle forme d'organisation de l'Europe et repenser notre rapport à la Russie après et à la paix sur ce continent.
 
Et de la même manière, vous l'avez dit, nous avons à bâtir un nouvel ordre international. C'est sans doute le plus grand défi du moment, car notre ordre aujourd'hui, il est incomplet et injuste. Il est incomplet parce qu'il a été pensé à la fin de la deuxième guerre mondiale et donc il n'avait pas en son cœur des préoccupations qui ont ensuite émergées et sont devenues prépondérantes : le climat, évidemment, en est une, la révolution technologique en est une autre. Et donc beaucoup de pays nous disent : vous nous demandez de choisir entre le développement et le climat, vous nous donnez des sommations en quelque sorte contradictoires.
 
Et puis la deuxième chose, c'est que la plupart des pays de la planète et nombre de pays les plus peuplés n'existaient pas quand les sièges ont été distribués. Et donc l'ordre international dans lequel nous évoluons aujourd'hui, qui est bloqué comme chacun le voit, j'y reviendrai cette semaine à l'ONU, est injuste parce qu'il n'est pas représentatif. Et donc il nous faut, pour imaginer la paix, imaginer un ordre permettant de penser tout ensemble, les questions de paix et de guerre, les questions de développement, les questions technologiques, les questions de climat et de planète, sans priorités. Ce que nous avons essayé de faire avec le Pacte de Paris pour les peuples et la planète. Et il faut le faire dans un ordre où tel ou tel ne peut pas bloquer les autres et où les pays sont dignement représentés. Donc le faire avec des instances beaucoup plus justes, qu'il s'agisse des Nations Unies, de la Banque mondiale ou du Fonds monétaire international. Cela contribue à cette nécessité, en effet, d'imaginer la paix. C'était les quelques remarques que je voulais faire cet après-midi à vos côtés.
 
Et au fond, Mesdames et Messieurs, chers présidents, chers amis, cher Andrea, après m'être indigné, permettez-moi de vous remercier de m'avoir permis à vos côtés, modestement, d'essayer d'imaginer la paix. Je ne sais pas si nous y arriverons, mais nous avons ce devoir. J'ai la confiance que la dette qui est la nôtre pour ceux qui nous permettent d'être là, en paix aujourd'hui et la dette que nous contractons à l'égard de tous les jeunes comme vous, Madame, qui êtes là aujourd'hui pour témoigner et qui avez vécu et continué de vivre dans votre chair la guerre, est d'être des infatigables bâtisseurs de paix, et donc d'imaginer chaque jour les chemins, même les plus difficultueux, pour la rendre possible.
 
Merci beaucoup !
 
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