Les chrétiens orthodoxes prient pour la paix, notamment dans les grandes prières litaniques: “En paix, prions le Seigneur!”; “pour la paix qui vient d’en-haut et pour la Salut de nos âmes, prions le Seigneur!”; “pour la paix du monde entier, la stabilité des saintes Eglises de Dieu et pour l’union de tous, prions le Seigneur!” Plusieurs fois, au cours des offices, celui qui les préside, évêque ou prêtre, s’adresse à l’assemblée et la salue en disant:”paix à tous!” Le Christ est appelé “Roi de la paix et Sauveur de nos âme”.
La tradition biblique dont sont issus les baptisés, quoique fertile en conflits et en affrontements de toutes sortes, a pour caractéristique une constante aspiration à la paix. Le mot hébreu “shalom” est un des mots clé de la culture biblique. Et l’on sait que la cité de David, où eut lieu la résurrection du Verbe incarné, est appelée Cité de la paix.
Cette aspiration à la paix, qui est en fait propre au coeur de tout homme, cette préoccupation pour la paix sans laquelle la communauté humaine risque de disparaître, reçoit donc un écho unique dans la tradition biblique. D’une certaine façon, on doit pouvoir dire que si un homme cherche la paix, il peut se tourner vers la Bible, tout particulièrement vers les psaumes. Dans sa Parole, le Seigneur parle aux hommes de paix. Il est Celui qui donne la paix aux hommes qui la veulent. Il est le Dieu de la paix. Il révèle dans sa parole que les hommes ne sont pas capables de trouver la paix par eux-mêmes: c’est Lui qui est la source de toute paix et qui est également le donateur de toute paix. Les hommes peuvent prier le Seigneur de leur accorder le don de la paix, c’est ce qu’on entend dans les psaumes. Mais Dieu enseigne également à l’homme à ne pas se contenter de demander et d’attendre légitimement ce don, et à oeuvrer activement à son niveau pour faire la paix, instaurer la paix et par là faire exactement la volonté de Dieu. L’homme en mettant en pratique autant qu’il le peut ce qu’il demande à Dieu se trouve dans une véritable synergie divino humaine. La tâche des hommes est de faire, de pratiquer et de réaliser la paix, non pour se passer du don indispensable de Dieu, et au contraire pour accueillir ce don dans leur vie.
Dans l’enseignement du Seigneur Jésus Christ, nous retrouvons ces deux aspects. D’une part le Dieu-Homme affirme donner la paix: “Je vous donne ma paix” (Jean 14, 27) et d’autre part Il valorise les artisans de paix, “ceux qui pratiquent la paix” (Jacques 3, 18). “Bienheureux les artisans de paix: ils seront appelés fils de Dieu”, entend-on dans les Béatitudes (Matthieu 5, 9). C’est bien la même synergie: l’homme est appelé à oeuvrer pour ce qu’il demande à Dieu. En fait, toute prière que nous adressons à Dieu comporte l’engagement d’agir pour accueillir son exaucement.
Mais l’enseignement de Jésus Christ et donc de ses disciples comporte une précision importante: la paix de Dieu n’est pas la paix du monde. “Je vous donne ma paix, dit Jésus, non comme le monde la donne” (Jean 14, 27). La paix n’est pas une vertu humaine; elle n’est pas d’ordre moral ou juridique; elle n’est pas culturelle. La paix est d’ordre charismatique. Elle est associée à l’Esprit saint, ce Paraclet qui a sa source dans le Père et que le Fils envoie d’auprès du Père. Après sa résurrection, Jésus Christ dit aux apôtres “paix à vous!” puis Il souffle sur eux et leur transmet l’Esprit saint.
L’artisan de paix, par conséquent, est un disciple du Christ et un membre organique de son Corps, qui s’investit dans ce que saint Séraphin appelle l’ “acquisition de l’Esprit”. Il Ne suffit pas d’avoir été baptisé et oint et de communier à l’eucharistie qui est le sacrement même de la paix divine. Il nous faut également, par le jeûne, par le repentir, par la supplication, par la louange, par le “sacrement du frère”, ce soin du prochain, faire fructifier le don du saint Esprit qui nous a été fait au saint baptême. Nous ne pouvons être des artisans de paix que si le charisme de la paix fructifie et fleurit en nous, dans notre coeur, dans notre esprit. Quand règne en l’homme la paix du Christ, son esprit n’est plus agité par les pensées contradictoires, son âme n’est plus tourmentée par les passions: son coeur est comme l’étendue calme et sereine de la surface des eaux et il possède en plus ce que les eaux n’ont pas: l’amour plein de chaleur du Christ pour les hommes.
L’acquisition intérieure de la paix est liée à la présence en nous du saint Esprit et à l’acquisition de l’amour du Christ. Si la paix règne dans le coeur des chrétiens, elle irradiera le monde. Car on ne peut donner au monde ce que l’on ne possède pas. Ceux qui s’enrichissent de la paix charismatique de Dieu peuvent apporter à la société des hommes la paix qu’elle n’a pas et qu’elle ne peut ni trouver ni fournir par elle-même.
La réponse chrétienne aux épreuves contemporaines, et particulièrement à la violence endémique, à la cruauté, à la folie humaine, dépend de la guerre que chaque baptisé mène intérieurement contre lui-même et contre ce qui se dresse contre le don de la paix que le Seigneur veut faire aux hommes. Le Royaume, est-il dit, appartient à ceux qui se font violence à eux-mêmes. Il revient aux chefs spirituels, aux pasteurs, aux parents de cultiver et d’enseigner la pacification du coeur suivant l’exemple des grands saints canonisés par l’Eglise en notre temps: saint Silouane d’Athonite, saint Nectaire d’Egine, sainte Marie de Paris et tous ceux, connus ou non, qui apportent au monde contemporain la paix qui vient d’En-haut.