Je remercie la communauté de Sant’ Egidio de m’associer à cette rencontre et de m’inviter à y parler de l’Afrique. En effet ce continent est très important pour TOTAL. Des liens très forts nous unissent à lui depuis 80 ans, nous y sommes présents dans 50 pays et ce sont près de 10 000 personnes de notre groupe qui y travaillent.
Je vous parlerai surtout de l’Afrique sub-saharienne parce que l’Afrique du Nord, où nous sommes aussi très présents, est un sujet en soi.
Il y a encore 10 ou 15 ans présenter l’Afrique comme une terre d’opportunités aurait suscité un profond scepticisme. L’Afrique sub-saharienne apparaissait à beaucoup comme une région en voie de marginalisation, dépourvue des atouts qui avaient déclenché ailleurs le phénomène d’émergence, avec une croissance trop lente, de nombreux foyers d’instabilité et même de guerre civile, ainsi que de sérieux problèmes de gouvernance. Elle semblait vouée à gaspiller les avantages considérables reçus de la nature : sa richesse en matières premières, en terres fertiles, en eau.
Au cours de la période récente, l’Afrique a beaucoup changé, plus vite probablement que le regard porté sur elle. Sans nier l’immensité des défis auxquels elle est confrontée et notamment le défi de la pauvreté, je voudrais citer les raisons qui me font croire en elle et l’aimer.
Ce qui me frappe le plus, dans les pays d’Afrique sub-saharienne que je visite, c’est le changement en profondeur des mentalités, la grande vitalité de la société. Cela ne doit pas nous surprendre : nous sommes en face de la population la plus jeune du monde, 2/3 des habitants ont moins de 25 ans, l’urbanisation est en plein essor, une classe moyenne commence à se former. Sans renier leurs racines, les Africains ont les yeux ouverts sur le monde et leur culture est très vivante. L’opinion publique s’exprime dans sa diversité, souvent avec vigueur. Le niveau de participation aux processus électoraux est appréciable. La moitié des jeunes adultes ont suivi une formation secondaire ou supérieure. La diffusion du téléphone portable, qui touche un africain sur deux, ou celle d’internet, sont en train d’apporter une vraie révolution dans les rapports économiques et sociaux.
La génération montante a une vision du monde très différente de la précédente. Les structures de pensée des plus de cinquante ans ont été formées dans le cadre de la décolonisation et de l’affrontement idéologique entre l’Est et l’Ouest qui passait par l’Afrique. La nouvelle génération me parait plus pragmatique, plus consciente que, pour se développer, les africains doivent essentiellement compter sur eux-mêmes et trouver leur propre voie. Elle croit à l’initiative privée, elle est entreprenante, elle se méfie de l’interventionnisme étatique qui est trop souvent générateur de rentes, d’inefficacité économique et de blocage social.
Depuis 12 ans, à l’exception vite surmontée de 2009, les pays d’Afrique sub-saharienne ont affiché une croissance économique supérieure à 5 % par an. Ce n’est pas dû seulement à l’évolution favorable du cours des matières premières tiré par la demande chinoise. Cette croissance soutenue tient aussi à l’amélioration de la gouvernance publique dans de nombreux pays, au développement de nouvelles activités de production et de services, aux flux financiers qui entrent en Afrique, en particulier les investissements directs étrangers et les transferts de travailleurs migrants.
La richesse du continent africain en matières premières ne doit pas être considérée comme une fatalité génératrice de corruption et de mauvaise gouvernance mais comme un atout majeur qu’il faut mieux valoriser. Je vais prendre un exemple, celui de l’énergie. Une vaste redistribution des cartes est en cours en Afrique dans le domaine des hydrocarbures. L’essentiel des ressources connues était jusqu’ici concentré en Afrique du Nord et dans le Golfe de Guinée. Le Nigéria, l’Angola, le Congo sont devenus en 30 ans des géants pétroliers. Les progrès des techniques d’exploration ont révélé un potentiel considérable dans de nouvelles zones, en particulier à l’Est du continent et notamment dans la région des grands lacs. Du côté de l’hydroélectricité, l’Afrique possède 12 % du potentiel mondial mais il est peu exploité. La culture de biomasse à usage énergétique parait aussi offrir des perspectives intéressantes pour l’Afrique.
Comment faire en sorte que cette richesse en matières premières soit un moteur pour un développement durable qui bénéficie à toute la population ? L’expérience nous enseigne que cela n’a rien d’automatique. En tant que 1ère Major par le volume de sa production en Afrique, Total se sent très directement concernée par cette question. Sans prétendre offrir de recettes-miracle, notre action s’articule autour des idées suivantes :
• Veiller à ce que nos projets aient des retombées directes significatives pour l’économie locale. Nous offrons des postes intéressants, une formation de qualité et des perspectives de carrière à nos collaborateurs africains. Nous offrons aussi des opportunités aux entreprises locales en faisant largement appel à elles pour réaliser nos projets.
• Favoriser la diversification du tissu économique dans les zones où nous opérons et encourager en particulier la création de PME.
• Mener des actions en faveur de l’éducation et de la santé, en s’appuyant sur les acteurs publics et privés locaux ou des institutions comme la Banque Mondiale.
• Contribuer à la transparence des relations financières entre les compagnies pétrolières et les états producteurs, sur la base de notre engagement dans le cadre de l’EITI.
Nous travaillons beaucoup actuellement sur le thème de l’accès à l’énergie pour aider à corriger le paradoxe suivant : un continent riche en ressources énergétiques, une majorité de la population privée d’un accès décent aux formes modernes d’énergie. Le programme Total Access to Solar est en phase expérimentale et couvre déjà 5 pays d’Afrique (Cameroun, Kenya, Ouganda, Burkina, Congo). Notre objectif est d’avoir distribué 1 million de lampes et de systèmes photovoltaïques de qualité d’ici 2015 à des conditions compétitives par rapport aux solutions traditionnelles comme la lampe à kérosène, en offrant un service complet à un public disposant de revenus faibles. L’éclairage, c’est trois heures de vie active de plus par jour.
Le dynamisme des sociétés africaines, l’ascension de nouvelles élites mieux formées, la réelle amélioration de la gouvernance publique dans de nombreux pays, tous ces facteurs sont riches de promesses. Il en est de même pour les progrès accomplis en matière d’intégration régionale. Ainsi l’Union Africaine joue un rôle croissant pour la résolution des conflits. Tous ces progrès doivent permettre aux Africains de mieux faire face aux défis considérables qui les attendent :
• Le continent est très en retard en matière d’infrastructures. Je pense en particulier aux communications et à l’énergie. L’effort d’investissement public est faible parce que l’argent manque et que la coopération régionale est insuffisante. Pour l’énergie, la Banque mondiale estime à 400Mds $ l’effort nécessaire.
• Le rythme de croissance démographique en Afrique sub-saharienne entraîne un doublement de la population en 25-30 ans, ce qui crée de fortes pressions sur les budgets en matière d’éducation, de santé.
• 200 millions d’africains ont aujourd’hui entre 15 et 24 ans et une part croissante d’entre eux a fait des études. Ils ont une forte aspiration à une vie meilleure et il faut leur donner un vrai travail.
Le meilleur atout mais aussi le grand défi de l’Afrique, c’est sa jeunesse. Répondre à ses attentes est un enjeu majeur pour l’avenir politique du continent et pour le monde. Les Européens ont une responsabilité toute particulière vis-à-vis de l’Afrique parce que ce sont nos proches voisins et que nos histoires sont étroitement liées.