24 Septembre 2024 09:30 | Collège des Bernardins – Grand auditorium
Discours de Jean-Baptiste de Franssu
Les inégalités sont au cœur de nombreux débats en économie, car elles touchent directement à la répartition des richesses, aux opportunités et à la justice sociale et à l’écologie. Elles ont toujours été présentes, dans toutes société et elles interrogent l’économie à plusieurs niveaux. J’en citerai 5 :
1. Répartition des richesses : Les inégalités posent la question de la manière dont les ressources économiques, telles que les revenus et le capital, sont distribuées entre les individus et les classes sociales. Une concentration excessive des richesses peut freiner la consommation des ménages et ralentir la croissance économique.
2. Opportunités économiques : Les inégalités peuvent limiter l’accès aux opportunités pour certaines couches de la population. Par exemple, un accès inégal à l’éducation ou à la santé peut réduire la productivité globale et exacerber les écarts de revenu à long terme.
3. Croissance et développement : Une économie marquée par des inégalités importantes peut connaître une croissance moins inclusive : Les inégalités peuvent freiner la croissance en réduisant la demande intérieure, car une grande partie des revenus se concentre entre les mains des plus riches, qui ont une propension à consommer plus faible.
4. Stabilité sociale : Les inégalités économiques peuvent également mener à des tensions sociales, voire à des crises politiques et économiques. Un sentiment d'injustice lié à la concentration des richesses peut créer des mouvements de contestation et affaiblir la cohésion sociale, avec des conséquences économiques négatives (révoltes, instabilité politique, baisse des investissements).
5. Politiques publiques : L’économie doit aussi s’interroger sur les politiques qui réduisent ou aggravent les inégalités. Les débats autour de la fiscalité (impôt progressif, redistribution des revenus), du salaire minimum ou des filets de sécurité sociale sont cruciaux pour comprendre comment les États peuvent agir pour réduire les disparités économiques.
Comme le dise les Evangiles dans Marc 14,7, « des pauvres, vous en aurez toujours avec vous » (Mc 14, 7). On se souvient que Jésus a prononcé ces paroles dans le cadre d’un repas à Béthanie, dans la maison d’un certain Simon dit « le lépreux », quelques jours avant la pâque. Comme le raconte l’évangéliste, une femme était entrée avec un vase d’albâtre rempli d’un parfum très précieux et l’avait versé sur la tête de Jésus. Ce geste avait suscité un grand étonnement. Dans un même temps, dans Luc (Luc 6:20) on peut lire « Heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous ! ». Le Pape François offre ces réflexions à la lecture de ces deux citations : comment peut-on apporter une réponse tangible aux millions de pauvres qui trouvent souvent comme seule réponse l’indifférence quand ce n’est pas de l’agacement ? Quelle voie de justice faut-il emprunter pour que les inégalités sociales puissent être surmontées et que la dignité humaine, si souvent bafouée, soit rétablie ? Il est donc essentiel de mettre en place des processus de développement qui valorisent les capacités de tous, pour que la complémentarité des compétences et la diversité des rôles conduisent à une ressource commune de participation.
Ses mots « les pauvres, vous en aurez toujours avec vous » indiquent aussi ceci rajoute le Saint Père : leur présence parmi nous est constante, mais elle ne doit pas conduire à une habitude qui devienne indifférence, mais impliquer dans un partage de vie qui n’admet pas de procurations. La conception selon laquelle les pauvres sont non seulement responsables de leur condition mais constituent un fardeau intolérable pour un système économique, qui place au centre l’intérêt de certaines catégories privilégiées, semble faire son chemin. Un marché qui ignore ou sélectionne les principes éthiques, crée des conditions inhumaines qui frappent des personnes qui vivent déjà dans des conditions précaires. On assiste ainsi à la création de pièges toujours nouveaux de la misère et de l’exclusion, produits par des acteurs économiques et financiers sans scrupules, dépourvus de sens humanitaire et de responsabilité sociale.
Lors de son récent voyage en Asie, et à l’occasion de sa visite à Singapour, le Pape a rappelé que la croissance économique lorsqu’elle est pensée, réfléchie et encadrée par des décision rationnelles et équilibrées permet toutefois d’allier la justice sociale et le Bien commun dès lors que le logement, l’éducation et un système de santé fonctionnel sont partie prenante de ces progrès.
Dans le monde actuel, et alors que l’homme le plus riche de la planète pourrait bientôt « peser 1000 milliards d’Euro avec un taux de croissance historique de sa fortune de plus de 100 % an cela interpelle ! D’autant plus que dans un récent rapport OXFAM indique que l’on n’arrivera probablement pas à descendre en dessous de 700 millions de personne dans le monde en dessous du seuil de pauvreté et que 50 % de la population mondiale vit avec moins de 6,5 Euro par mois.
L’Eglise catholique interpelle également les économies des pays les plus riche sur le problème de la dette et des inégalités climatiques qui, comme on le sait, prenne une ampleur de plus en plus grande.
Les Évangiles invitent à la compassion et à la justice envers les pauvres. Jésus valorise les pauvres, enseigne l'humilité et la charité, et critique la richesse excessive et l'injustice sociale. Le message évangélique invite à partager, à aider ceux dans le besoin, et à voir les pauvres non comme des personnes à mépriser, mais comme des personnes dignes d'attention et d'amour.
Au-delà de cette grande importance aux pauvres, faisant de leur situation une question centrale, l’Eglise a également publié des enseignements sociaux, que l’on retrouve dans un ensemble de texte que l’on désigne sous le titre « la Doctrine Sociale de l’Eglise ». Dans ce texte, elle promeut des principes et des valeurs pour faire face à cette tension historique entre inégalités et économie. C’est un aspect du travail du Collège des Bernardins que de réfléchir sur ces enseignements, de les partager et d’approfondir des voies possibles pour apporter des solutions dans le cadre de son pôle de recherche.
Le Collège va notamment lancer dans les prochaines semaines un centre de recherche international sur ce que l’on qualifie de Finance Religieuse et de voir, avec les autres religions qui s’associeront à cette démarche, comment utiliser les Avoirs des religions pour apporter des réponses face à ces inégalités.
En résumé, les inégalités posent une question fondamentale à l’économie : comment assurer une croissance durable tout en maintenant une société juste et équitable ? En d’autres termes, l’économie est-elle condamnée à produire de l’inégalité et à l’accentuer ? Beaucoup d’économistes tentent toutefois d'équilibrer les impératifs de croissance avec la nécessité de réduire les inégalités pour éviter des conséquences sociales et économiques négatives même si les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous !
Mais sans éthique et sans la Foi, ce Dialogue entre inégalités et l’économie sera plus ardu.